The Groo adventurer

Ce tome regroupe les épisodes 1 à 4 des aventures de Groo, publiés par Epic Comics, en 1985. Les scénarios et dessins sont réalisés par Sergio Aragonés, les dialogues par Mark Evanier (ancien assistant de Jack Kirby), le lettrage par Tom Luth et la mise en couleurs par Stan Sakai (créateur de Usagi Yojimbo).

Dans le premier épisode, le Ménestrel chante comment Groo avait été pris au service d'un roi pour ses capacités de combattant. La première mission consiste à ramener du gibier pour nourrir les habitants de la ville, la seconde consiste à empêcher des soldats ennemis à franchir un pont aux frontières du royaume, et la troisième est une mission suicide où Groo et quelques soldats doivent prendre d'assaut une place forte (sans espoir de vaincre) pour faire diversion pendant que le roi et son armée attaque une ville moins bien gardée. Dans les épisodes suivants, Groo doit chasser un dragon qui terrorise une ville, puis il se voit octroyer un médaillon qui le place au milieu d'une guerre entre 2 ethnies (les Melenitas et les Hetitas), enfin il doit trouver le moyen de libérer les femmes de plusieurs villages, enlevées par des individus opérant en montgolfière.

Groo est un personnage qui a été créé par Sergio Aragonés en 1982. Il a d'abord bénéficié de 8 épisodes publiés par Pacific Comics, puis d'une série conséquente de 120 numéros de 1985 à 1994, publiées par Epic Comics. Par la suite la publication a été plus sporadique : 12 épisodes en 1995 par Image Comics, plusieurs miniséries chez Dark Horse Comics de 1998 à 2009 (dont la dernière en date est The Hogs of Horder). Sergio Aragonés est connu avant tout pour sa participation au magazine humoristique MAD (une anthologie lui a été consacré : Sergio Aragones - Five decades of his finest works).

Aragonés et Evanier écrivent des histoires de barbares parodiques et bon enfant. Il s'agit donc d'une bande dessinée humoristique mettant en scène un individu très efficace avec ses katanas, et particulièrement stupide. Les auteurs reprennent les codes du genre Heroic Fantasy, sur un mode dédramatisé. Dans la mesure où les auteurs s'adressent à un public de 7 à 77 ans, la violence est édulcorée. Lorsque Groo tranche et charcute avec ses katanas, les dessins ne montrent pas les plaies, ou les blessures, et les personnages effectuent une grimace pour signifier leur passage de vie à trépas. Dans le même registre, Aragonés utilise un style dans lequel les personnages ont des gros nez, et un corps représenté de manière difforme pour accentuer leur ventre. de ce point de vue, il s'agit d'une bande dessinée convenant à des enfants.

Derrière cette approche tout public, le lecteur adulte pourra également trouver son content de divertissement. Aragonés et Evanier ont choisi d'écrire des récits lisibles par tous, ce qui signifient de leur point de vue qu'ils doivent s'appuyer sur des valeurs humanistes de tolérance, de respect et d'ouverture d'esprit. Ils se servent donc de Groo pour montrer que les solutions imposées par la force mènent au désastre et relèvent de la bêtise. Néanmoins, ils ne narrent pas les aventures de Groo sur un ton moralisateur, ils préfèrent utiliser l'humour. Pour un adulte, ces histoires semblent d'abord un peu fades car il n'y a pas de méchanceté, de violence graphique, d'individus qui en imposent par leur apparence, etc. Il y a un personnage principal idiot et bébête, des dirigeants politiques pas très éclairés, des soldats peu futés, des gens ordinaires vaquant à leurs occupations ordinaires (commerçants au marché, bateleurs, badauds, ménestrels, etc.). D'un point de vue visuel, le tourisme dans ces contrées exotiques ne conduit pas à s'extasier devant de beaux dessins, ou des vues à couper le souffle. Cela n'empêche pas l'immersion d'être totale.

Car en examinant bien les dessins, le lecteur s'aperçoit que sous des dehors débonnaires de bonhomie, Aragonés et Evanier sont des conteurs professionnels qui se sont documentés. Il suffit de s'attarder un instant sur les katanas de Groo pour s'apercevoir qu'il porte comme ornement, en bandoulière le support qui devrait normalement servir à les porter. La première double page permet de faire connaissance avec le ménestrel installé sur la place du village, chantant la bêtise de Groo, à l'occasion d'une fête. Ce dessin comporte au bas mot une centaine de figurants tous accomplissant des actions différentes. En parcourant l'image, le lecteur découvre un fermier sur le banc de sa charrette attelée à 2 boeufs transportant des cages avec des volatiles, 2 jongleurs s'envoyant des quilles, une vingtaine de personnes ayant formé une pyramide humaine, une dame vendant des fruits, un funambule sur son fil, un montreur d'ours, une vendeuse de pastèques, un cracheur de feu, des vieux assis sur un banc, une procession religieuse, un porteur de bûches, etc. Aragonés et Evanier prennent soin de peupler l'environnement de Groo avec des aménagements et des individus plausibles, et cohérents avec ce monde moyenâgeux.

La narration visuelle est donc dense pour qui souhaite se donner la peine d'examiner chaque dessin. Les intrigues sont loin d'être linéaires et prévisibles, Aragonés et Evanier sachant piocher dans les codes de l'aventure pour insérer des scènes mémorables et imprévisibles (ce que trouve Groo dans la grotte du dragon, ou son voyage vers le lieu de captivité des femmes). Evanier sait écrire des réparties où les vannes (bon enfant) fusent et tournent en dérision la bêtise de Groo. Il complète les intrigues d'Aragonés en développant les personnages au travers des dialogues. Il a recours aux bulles de pensée pour exposer les processus mentaux de Groo (âmes sensibles s'abstenir). Enfin il enjolive les aventures pour faire ressortir la bêtise et a mesquinerie de certains comportements (très banals).

Avec ce premier tome des rééditions des épisodes de Groo publiés par Epic Comics, le lecteur peut faire connaissance avec un barbare efficace avec ses sabres, mais particulièrement bébête (sans malice). Cette lecture tout public permet de sourire aux idioties des uns et des autres, tout en s'imprégnant des valeurs humanistes des auteurs. C'est également l'occasion d'effectuer un voyage visuel d'une riche densité, tout en restant d'une grande discrétion et d'une grande lisibilité. La réédition des épisodes de Groo se poursuit dans The Groo Bazaar (épisodes 5 à 8).