Les écrivains noirs américains sont-ils condamnés à n'écrire que sur les (si possibles rudes) conditions de vie de leurs congénères pour satisfaire une certaine attente et curiosité du public, et voir ainsi leur talent reconnu ? Ne peut-on être simplement écrivain et exercer son art comme tout autre écrivain ? C'est un peu la question qui sous-tend ce récit avec un cynisme dont on se délecte tout le long.
Monk, dans ce roman, est cet écrivain noir américain qui prend conscience du fait que le racisme n'est pas juste une question de haine, mais la manifestation d'une reconnaissance de la différence raciale. A ce moment-là, on vous dénie une identité propre, vous représentez forcément votre culture et son histoire, et l'on attend de vous que vous vous comportiez et exprimiez en conséquence, selon les idées préconçues que l'on s'est forgé sur vos origines.
Et comme le démontre assez tristement ce récit, concernant l'écrivain noir américain, si le public est prêt à l'accueillir chaleureusement, il n'est pas assez mûr pour voir l'écrivain au-delà du Noir américain.
C'est un état des faits assez tragique mais l'auteur,
Percival Everett, parvient à soulever ces points avec tant d'ironie qu'on ne peut s'empêcher de rire bien souvent (j'ai même eu des rires de hyène hilare !).
J'ai aimé aussi le côté givré de l'auteur que je n'attendais pas du tout. A vrai dire, j'avais peur de me plonger dans un roman intello, limite inaccessible, et si son protagoniste, Monk, semble être de ces auteurs qui se délectent dans l'écriture de ce type d'ouvrages, Everett parvient justement à diluer ce trop plein de sérieux dans une narration multiforme particulièrement savoureuse et intelligemment développée.
Et quel talent dans tous les genres, et que de dérision ! J'ai adoré la lecture de Fuck, un roman dans le roman, une sorte de délire coup de tête qui m'a fait frémir au départ, un pastiche des romans sociaux noirs américains, mais que j'ai adoré à ma grande surprise (et à ma grande honte puisque selon Monk, je n'étais pas censée adhérer à ce genre de récits ). Vraiment truculent ! J'ai adoré les réactions de l'auteur, des éditeurs, des médias, du jury littéraire - excellent, ce dernier ! Rarement le ridicule de situation n'a été poussé aussi loin !
On assiste ici à une vraie satire socioculturelle de l'Amérique !
Dans une société qui impose de correspondre à des normes, à des critères sociaux qui rassurent, et qui ne peut accepter une autre réalité, on ne peut être soi. Il faut faire des concessions sur ses principes, perdre son identité propre, jouer un rôle pour conforter les gens dans le bien-fondé de leurs certitudes, se trahir pour survivre, ou alors, accepter d'être rejeté par la société.
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