Pleins de Vie... Oh, mon Dieu, Fante, fantastique homme !
C'est un chef-d'oeuvre comme on en lit peu. C'est un chef-d'oeuvre aussi bref que la vie, aussi bref que la rancoeur d'un père envers un fils ; aussi éternel que l'amour d'un homme à sa femme, sa mère ou son père. C'est une ode à la vie. En fait, c'est bien des choses à la fois, *
Pleins de Vie*, et je crois que ce roman recèle d'autant de facettes que la vie elle-même, alors croyez-moi vite et sans craintes lorsque je vous dis que c'est ici la source d'une joie sans fin, sans cesse renouvelée.
Commençons par ce qui doit être passé assez vite, sans pour autant être inutile : la préface de
Philippe Garnier. Loin d'être ridicule, c'est même très éclairant sur l'auteur puisqu'on y parle de manière décousue de sa vie et de ses habitudes, tout ceci éclairé par Joyce, sa femme, et d'autres amis proches... On y regrette un peu l'avalanche de noms et de références au cinéma des années 50, 60, qui me sont véritablement inconnus. S'il y a en revanche bien un point qui mérite d'être souligné ici, c'est l'attention portée au fait que la vie n'a fait à aucun moment de « cadeaux » à
John Fante. Une vie fournie s'il en est, mais une vie difficile. Notre auteur a galéré, bien souvent, et s'en sortait (parfois) par l'écriture, pour lui un moyen de subsister et rien d'autres. Cela colle assez bien avec le personnage, et je n'ai pour ma part pas été déçu d'apprendre que Fante n'était pas un « possédé » de l'écriture. Une préface sérieuse, éclairant un fragment de l'oeuvre à suivre (notamment sur le lien que noue Fante entre sa vie et celle qu'il écrit...).
Passons à l'oeuvre en elle-même. Il est dur pour moi de résumer mes esprits, mais la première chose qui me vient est la suivante : cette oeuvre est magnifiquement drôle. J'ai ri à de nombreuses reprises. A commencer par ses descriptions du ventre de sa femme enceinte, décrit comme un « monticule » toujours gênant, toujours tourné drôlement. Je crois que toute la préciosité du roman (de l'autobiographie, en fait, mais cela n'a pas vraiment de sens chez Fante) tient à l'attitude de Fante vis-à-vis de la vie, du monde qui l'entoure. Si ce bouquin est si exceptionnel, c'est bien parce que son auteur l'est tout autant. Ses réactions sont parfois si démesurées, si incontrôlées et pourtant si assumées que cela en devient émouvant. Quand Fante est confronté aux constants changements d'humeur de sa femme, il se joue de l'agacement, de la plaisanterie tout en ayant toujours une angoisse incompréhensible sous-jacente. Et ce maelström de sentiments tourbillonne en son sein et se déballe sous forme de phrases directement somptueuses.
En tous les cas, je dirais bien que les deux tiers de l'oeuvre (et même le dernier tiers, dans une moindre mesure) sont vraiment très drôles et toujours, toujours émouvants. Car quand Fante parle de ses parents et de son vieux père, tendre, aigri - un si grand homme ! - il invoque en son écriture une vie que l'on ne peut imiter. Il puise directement à la source de toutes choses, et en cela ne se contraint pas à emprunter des voies qui dénatureraient l'existence et toute sa beauté. Et cela donne un style magnifique, touchant le lecteur en plein coeur, et ne déserrant jamais son étreinte.
Alors oui,
John Fante traverse des moments difficiles durant cette période de sa vie, mais il gardera toujours cette verve si caractéristique de l'écrivain et du grand homme. L'humour apparaît dans des situations plutôt surprenantes, et son calme surprend même, et là je pense notamment à la ligue temporaire de son père et de sa femme, lorsqu'ils montent la cheminée chez lui, contre lui. Fante est alors bien seul, et pourtant, en fait-il un jour payer sa femme ? C'est un homme souvent décrit comme plein d'orgueil par son entourage, pourtant ses livres sont une porte d'entrée sans euphémismes au sein de son être. Ils sont la clé permettant d'observer le coeur de cet homme bon.
Et puis je dois bien avouer que c'est une époque magnifique que celle de Fante. Les paysans étaient encore authentiques, et il y a là toute une histoire. La vie d'un immigré italien aux États-Unis au début du siècle est par définition très intéressante, que dire donc de celle de Fante!
Toute cette honnêteté dans l'écriture, qui est par ailleurs délicieuse, fine caractéristique et directe, oblige le lecteur à s'immerger profondément dans l'oeuvre. C'est assez court (certainement dans les deux cents pages), et ça se lit d'une traite. Je n'ai éprouvé aucune difficulté à suivre si intimement l'auteur, et plus que cela, ce fut une véritable harmonie !
S'il ne devait y avoir qu'un point négatif à citer (et brièvement), c'est le revirement brutal de Joyce au catholicisme. J'ai été quelque peu désarçonné (mais plus que l'auteur, ce qui a fait le temps de quelques pages un « micro-décalage »), mais je présume que c'est normal, du fait de l'époque, du contexte... En tous les cas, je tiens à souligner une dernière fois la plume splendide de Fante, qui touche bien souvent au sublime. Elle allie ironie, une honnêteté sans précédent et poésie. C'est ceci qui retranscrit la vie, du moins pour moi (et pour Fante, sans nul doute).
Quelle histoire conte *
Pleins de Vie* ? Une rédemption ? Un retour à la foi ? Une naissance ? La reconstruction d'un amour père-fils, qui a toujours été ? le point sur une vie ? La maturation d'un homme ? Un hommage vibrant à la vie ? A la famille ? A l'amour? Je crois qu'il y a tout ça dans *
Pleins de Vie*.