— Vous devez proclamer la vérité ! lança-t-il. Vous n’êtes pas coupable, pas de ce dont le Tribunal révolutionnaire vous accuse. Depuis que vous êtes devenu marquis des Eaux-Mortes, vous n’avez fait que du bien autour de vous. […]
— Oh si, je suis coupable […]. Ce que j’ai fait… aider à réparer un toit, donner de la nourriture aux pauvres… je l’ai fait parce que je pouvais me le permettre, c’était facile au fond pour moi. Et avec mes bonnes actions, comme disent les prêtres, j’ai sans doute endormi un peu plus longtemps la révolte, ici, à ma petite mesure. J’ai contribué à faire tenir un peu plus longtemps un système injuste, tout en m’attribuant le beau rôle. La charité n’est pas la justice, et je mérite ma condamnation. Ne serait-ce que pour être honnête envers moi-même. Parce que je crois à la Révolution.
L'hiver lentement se refermait sur eux. Les traces animales dans la poudreuse, les empreintes des bêtes qu'ils ne voyaient jamais, qu'ils devinaient parfois entre les hauts traits d'encre des troncs, les maintenaient sur le qui-vive. Ils avançaient en intrus dans un monde qui avait vécu sans eux depuis des siècles, qui vivrait encore des siècles après eux.
Elle m'a montré que le monde est fait d'histoires autant que de matière. En tous lieux les histoires se mêlent à ce que nous sommes, cette Terre même que nous arpentons, ces océans au travers desquels nous lançons nos courses. Les histoires nous relient à ceux qui nous ont précédés, également, tout au long des siècles. Ceux qui ont vécu bien avant notre ère, mais aussi ceux que nous avons croisés, ceux que nous avons aimés, ou haïs, et qui sont partis avant nous.
Le monde se tressait d'histoires, autant que de matière, d'air, de feu et d'eau.
Le passé revient à la surface, avec la nuit, avec les vagues. Certains matins, on retrouve, dans le sable, des creux qui ont la forme de corps, d'hommes et de femmes qui se seraient traînés jusqu'au rivage.
Nous sommes tous de la pierre qui saigne.
Je crois à ce que j'ai vécu, à la neige, aux orages, aux longues nuits... Je crois au chemin d'étoiles et à la cruauté des hommes. Et je crois à la solitude, à la faim et à l'épuisement qui parfois changent les hommes en monstres. Qui nous dévorent et nous poussent à vouloir assouvir à notre tour des instincts insatiables. J'ignore s'il existe un dieu unique, un grand esprit ou un premier conte. Mais je suis certaine que nous portons en nous nos pires ennemis.
- Le Widjigo, déclara-t-il. C'est le nom que les Algonquins lui donnent. Le monstre qui nous dévore, ou que nous devenons, à force de faim, de solitude...
Les bords d'océan se parlaient entre eux, s'échangeaient des mythes et des rêves.
Ma mort vient de plus loin. Ma mort traverse l'océan. Elle vient des glaces et des neiges. Il y a un Ankou, tu sais, là-bas. A Terre-Neuve. Ce sont des pêcheurs de Bretagne qui l'ont amené. Et d'autres créatures encore, qui étaient là bien avant nous. Qui naissent de la faim, et de la solitude