Le jour de ta mort seulement, ma fille, tu connaîtras le dénouement. Jusque-là, suis le chemin, il ne mène peut-être nulle part, mais comment le savoir ? Aie confiance, c'est tout. Il était une fois et peut-être il n'était pas. Suis le chemin.
Les nuages s’étirent, s’attardent longtemps dans le ciel lumineux. Les bruits de la nuit surgissent de la terre, chauds, odorants, couleur de sauge ou de noix fraîche. J’ai envie de les prendre entre mes mains et de les laisser couler avec lenteur, puis de les ramasser et de recommencer. Le silence, ici, est miraculeux.
Aucune cuisinière digne de ce nom ne suit une recette à la lettre.
Les noms ont un pouvoir, tu sais, ils se tapissent dans un pli de tes souvenirs pour te faire de l'œil, ils t'attirent avec leurs jolies syllabes sucrées et ils te mènent par le bout du nez exactement là où tu dois aller.
Les nuits passeront, l'une poussant l'autre dans ses propres ténèbres, et je m'userai, jour après jour, je deviendrai mince et coupante, transparente,
jusqu'à m'effacer, à m'effondrer enfin, sans un bruit.
Nous avons déjà croisé trois chalutiers. Leurs feux
émergent à l'horizon, brillent un moment au-dessus de la houle, puis disparaissent. Aucun ne s'est approché. Je les ai suivis des yeux, imaginant les marins dans leurs cabines, bien protégés par leurs polaires et leurs cirés, en train de boire un café ou d'échanger des nouvelles avec d'autres pêcheurs. Pour eux, nous ne sommes qu'une épave à la dérive. Moins qu'une balise, moins qu'un casier vide qu'ils pourraient récupérer. Ils ne nous voient pas; peut-être préfèrent-ils ne pas nous voir. Comme le reste du monde. Nous sommes des abandonnés.
Les mûres sont sur le mûrier, et l'histoire est terminée...
C'était la loi, non écrite mais aussi présente et pesante qu'un couvercle de fonte : se taire, ne rien réclamer, ne susciter ni curiosité ni agressivité. J'apprenais vite.
Pour pleurer, il faut en avoir le temps, il faut être seul et laisser le chagrin venir. Et du temps, je n'en avais pas.
Pour pleurer, il faut en avoir le temps, il faut être seul et laisser le chagrin venir.