Je ne vais pas m'étendre sur ce roman plus que de raison, je suis passée à côté. Une histoire polyphonique où s'entremêle le destin de trois femmes : Kamar migrante qui fuit la Syrie, Acia fraîchement sans emploi et Nebbe à son fourneau.
L'histoire certainement a de quoi séduire mais je suis restée hermétique tant au fond qu'à la forme que j'ai trouvée anormalement mielleuse et poétique malgré la gravité des thèmes abordés. Je ne suis pas parvenue à m'attacher à aucun des personnages. Ce fut pour moi, trop enrobé, trop rempli de phrases un peu bateau (bateau pour moi, sûrement magnifiques pour d'autres).
« Les petites joies ne font pas de bruit, elles ne s'annoncent pas à grand fracas de cuivres comme les réussite éclatantes, mais elles sont là, blotties dans les interstices, entre deux échecs, une rupture et un licenciement, une humiliation et une gifle, au revers de la vie, en quelque sorte. Si discrètes qu'il faut les débusquer, les prendre contre soi, les protéger du vent. Si fugaces qu'elles nous laissent dans la mémoire qu'une ombre de douceur. Mais c'est avec ces douceurs-là qu'on réussit à survivre. »
Que ce passage vous inspire ou vous séduise. Certains rendez-vous littéraires se ratent, il ne faut pas se formaliser ni se fier à un avis mitigé. Car tout est question de sensibilité, de timing, d'humeur.
Merci à Babelio et aux éditions La belle étoile de m'avoir adressé ce livre dans le cadre d'une masse critique privilégiée.
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Deux jeunes femmes, l'une syrienne qui fuit la guerre avec sa fille de 9 ans désespérément mutique, l'autre en errance en Italie après avoir perdu son emploi dans une osteria à cause d'un patron indélicat. Un chat obstiné, un livre de recettes écrit par de multiples cuisinier(e)s, une cocotte, une cuillère en bois sculpté, une Fiat hors d'âge qui va nous emmener jusqu'en Ombrie, au pays de Saint François d'Assise, celui qui parlait aux animaux. Voici quelques-uns des ingrédients de ce roman où les saveurs orientales vont croiser les petits artichauts italiens, où les herbes aromatiques méditerranéennes vont emporter nos sens et accompagner les voyages bien différents d'Acia l'italienne et de Kamar la syrienne.
C'est avec Kamar que commence la longue route qui va nous mener d'Alep à Izmir, puis en Italie. Une route jalonnée de terreur, terreur sous les bombes qui lui ont pris son mari tant aimé, terreur dans ce frêle canot gonflable censé les amener en Grèce, mais qui n'y parviendra jamais, terreur des garde-côtes, sauveurs ou ennemis ? Puis terreur des camps où il ne faut jamais se déplacer seule, tant de prédateurs y rôdent...
Pendant ce temps, Acia poursuit elle aussi son chemin, elle qui voudrait tant se fixer quelque part et exercer ses talents de cuisinière paisiblement. Mais hélas, la vie n'a pas été tendre avec elle non plus, même si son histoire n'est de loin pas aussi tragique que celle de Kamar. le livre de recettes abandonné sur un banc qu'elle a récupéré a décidé de son itinéraire : elle ira à Palazzo, retrouver le dernier contributeur de ce mystérieux ouvrage. Et le Chat a décidé de l'accompagner, et on ne contredit pas un chat, toute personne partageant sa vie avec un de ces êtres le sait bien.
Je ne vous dévoilerai pas le reste de l'histoire, sachez juste qu'une troisième femme, surnommée Nebbe, et pas franchement amicale de prime abord, va jouer un rôle primordial dans la destinée de nos héroïnes. D'hommes il ne sera pas souvent question, mais l'Italie réserve parfois de belles rencontres !
L'écriture est primordiale dans ce roman, elle fait appel à tous nos sens et nous immerge complètement dans le vécu d'Acia et de Kamar. Je suis très sensible à cette poésie dans les évocations culinaires, certains d'entre vous l'ont peut-être déjà remarqué dans de précédentes critiques. Et ici, c'est bien souvent des souvenirs de recettes concoctées avec amour en famille qui fait "tenir" dans les moments difficiles. Il n'y a qu'à voir ce que chacune de ces femmes va emporter dans son périple : pour Kamar, une cuillère en bois sculptée héritée d'une lointaine ancêtre et donnée par sa tante. Pour Acia la cocotte en fonte de sa grand-mère qui l'a accompagnée dans toutes les épreuves. Hautement symbolique !
Les chapitres sont courts, donnant la parole à Kamar et Acia tour à tour. le rythme est soutenu, pas de temps mort. Pas de larmoiement non plus, même dans les épreuves les plus tragiques, Kamar n'a qu'une idée en tête : sauver sa fille Hana à tout prix, pas le temps de s'apitoyer sur son sort. Acia connaît des moments de découragement, mais elle aussi avance sur la route comme dans sa vie, opiniâtrement.
Je n'ai pas réussi à m'attacher complètement à ces femmes, il m'a manqué un petit zeste de quelque chose, peut-être parce qu'elles sont tellement isolées des autres pendant une bonne partie du récit, sans interaction autre qu'avec Hana pour Kamar, avec le chat pour Acia. Ce qui explique l'étoile manquante, pour ce livre qui aurait pu être plus approfondi, plus marquant, comme par exemple "L'apiculteur d'Alep" l'avait été pour moi.
Une belle découverte cependant, dont je remercie Babelio et La Belle Etoile.
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(Les premières pages du livre)
Kamar
En premier, c’était le bruit – ce bruit. Nous étions partis depuis des heures, la nuit était tombée, impossible de compter. Et ils m’avaient pris mon téléphone dès le début, parce que le prix du passage avait augmenté, une femme seule avec une gamine, c’est dangereux, plus cher, ils insistaient. J’ai protesté, vous étiez d’accord, mon oncle vous a payés… Ils ont simplement ri, une main s’est tendue vers les cheveux de ma fille, une autre vers moi, je les ai repoussées et je leur ai donné ce qu’ils exigeaient. Je n’avais pas le choix.
Depuis que les fourgonnettes s’étaient arrêtées devant nous en projetant sur nos chevilles une giclée de poussière, j’avais peur. Les chauffeurs ne sont même pas descendus, une main a donné une claque sèche sur la portière ; mon oncle s’est avancé pour ouvrir la porte du véhicule le plus proche. Il m’a fait signe de monter. Je l’ai regardé. Le blanc de ses yeux était strié de veinules rouges, le bord de ses paupières tout fripé, comme desséché de l’intérieur. Un morceau de tissu brûlé autour de son regard triste. Je me suis détestée de m’accrocher à ça ; il y a tant de façons de dire adieu, celle-là était la pire, rester muette, mon enfant serrée contre moi, ne pas trouver une seule larme à lui offrir, pas un mot, même pas un semblant de sourire.
Il s’est baissé, a soulevé Hana – les toutes dernières secondes, je n’ai pas pu les retenir, elles se sont dissoutes dans le rugissement des moteurs. J’ai peut-être posé le front sur la toile rêche de sa veste, respiré une dernière fois son odeur de vinaigre et de cumin, l’odeur de ma cuisine et de celle de ma tante ; j’ai peut-être trouvé là, dans ce souvenir des jours heureux, de quoi mouiller mes yeux.
Ça n’a pas duré. Pour pleurer, il faut en avoir le temps, il faut être seul et laisser le chagrin venir. Et du temps, je n’en avais pas. Pour Hana, je devais me durcir, comme la lame d’un couteau, capable de percer et trancher, de nous ouvrir une voie. Vers quoi ? Je n’arrivais même pas à l’imaginer. Un abri où respirer, écarter la peur.
Et pleurer, oui, comme ce serait bon, alors, de pleurer.
Nous étions nombreux dans la fourgonnette, plusieurs familles, un bébé criait, la femme qui le tenait lui donnait à téter un coin de tissu mouillé. Trempé dans de l’eau sucrée, peut-être. Elle n’était pas sa mère, cela se voyait. Je n’ai pas osé demander ce que celle-ci était devenue, tant de choses avaient pu se produire, tant de drames, chacun gardait le sien bien plié sous ses vêtements et se taisait. L’enfant, lui aussi, a fini par se taire, hoquetant à petits sanglots épuisés. Il apprenait. À rester silencieux, à se faire petit. Un peu de jour filtrait encore par les trous de la bâche, je voyais les têtes, en face de moi, osciller en cadence, oui, signifiaient-elles, oui, je suis d’accord. Faites de moi ce que vous voulez, vous aurez tout, mon argent, mes prières, ma reconnaissance. Je ne sentirai rien, ni la soif, ni la faim, ni la saleté lentement cristallisée sur ma peau, accumulée entre mes orteils et sous mes ongles. Je ne crierai pas. Mon corps évidé ne demandera plus à se soulager. Mes yeux se fixeront sur le néant, ouverts et aveugles.
J’obéirai.
À mesure que les kilomètres défilaient, ma langue gonflait dans ma bouche, couverte de cette poussière salée jaillie du sol piétiné. Je ne voulais pas boire, pas encore, je gardais l’eau de la petite gourde donnée par ma tante pour Hana, quand elle se réveillerait. De l’eau du puits dans laquelle elle avait plongé une de ses dernières feuilles de menthe séchée, conservée dans un sachet de gaze à l’abri des insectes. « La menthe, m’avait-elle chuchoté bien des fois, est l’amie de la cuisinière. Quand je prépare un repas spécial, je frotte la table avec de la menthe. Son parfum éveille l’appétit, elle fait le ventre léger et la conversation agréable. Garde toujours de la menthe sur toi, kbida. »
Une seule feuille. Je ferais boire ma fille, et ensuite je m’accorderais une gorgée, une merveilleuse gorgée. La maison que je venais de quitter y serait contenue tout entière, la maison d’avant, avec son jardin et sa cour ombragée, ses chambres fraîches, son dallage poli, doux aux pieds comme la caresse d’une paume enduite d’huile de nigelle. La maison délivrée de ses gravats et des bâches qui remplaçaient une partie du toit, celui qui avait été touché par une bombe quelques semaines plus tôt.
La maison.
Il ne fallait peut-être pas boire cette eau. La moindre goutte suffirait à faire vaciller ma résolution. Je me voyais serrer Hana contre moi, me lever, enjamber les corps affaissés et sauter de la camionnette, je me voyais courir sur la route poudreuse, mon voile flottant derrière moi. Je nous voyais aussi couchées derrière un talus, mortes. Tant d’autres n’étaient pas allés jusqu’au bout du voyage. Les passeurs n’attendaient personne, et ils n’avaient aucune pitié. Nous le savions tous, même si nous faisions semblant de l’ignorer. Même si les rares phrases qui circulaient exprimaient un optimisme forcé : tout irait bien. La traversée serait courte. Nous serions bien accueillis. Ceux qui ont envie de travailler trouvent toujours un emploi, un toit, un coin de terre. Mon père le disait souvent, et il savait de quoi il parlait, mon père, il n’avait pas pris un jour de repos de toute sa vie. La mort l’avait saisi au coin de son champ, une pierre dans chaque main. En tombant, il ne les avait pas lâchées. Il ne voulait pas, probablement, qu’elles s’enfouissent à nouveau, gâchant une minute de dur labeur.
Les mères ne cessent de prier pour leurs enfants, et qu’importe le dieu auquel elles s’adressent, qu’importe même si elles implorent un ciel vide. Pendant des mois, j’ai prié, le cœur dévasté, pour que ma fille me soit enlevée, qu’elle vive en paix loin de moi, de ce pays ravagé. J’ai prié aussi pour ne jamais la quitter du regard, pour mourir avec elle s’il le fallait, avant elle, pour ne jamais voir couler son sang. Aujourd’hui, je veux seulement qu’elle ne sente pas le froid de la nuit. Quand les véhicules ont stoppé, je l’ai enveloppée dans une chemise de son cousin, trop grande, j’ai noué les manches autour de sa taille, soufflé dans le col qui bâillait, elle serait réchauffée, habillée de mon haleine. Je ne pouvais pas lui donner plus.
Mes pieds ont repris contact avec le sol. J’ai cru qu’il pleuvait, mais la bruine qui humectait mon visage avait un goût salé. Machinalement, j’ai léché mes lèvres. Pas de quoi apaiser ma soif, surtout avec le sel, juste de quoi imaginer que le renflement de ma chair était comestible, tendre et saisi à point, que je pouvais y mordre pour me réconforter. Depuis combien de temps n’avais-je pas préparé et savouré un vrai repas ?
Quelqu’un a crié un ordre, et nous avons commencé à marcher dans l’obscurité, vers cette rumeur grandissante, rythmée. Je savais que c’était la mer mais aucune image ne me venait, je ne l’avais vue qu’une fois, elle était bleue, luisante et docile, et venait lécher mes pieds nus comme un chat familier. Nous avions pique-niqué sur la plage, les enfants couraient, tête levée vers un cerf-volant dont les rubans frissonnaient et claquaient. Cette nuit, c’était un monstre qui bramait sa faim, il nous attendait, la gueule ouverte, prêt à nous avaler. Les genoux d’Hana pressaient ma taille, elle respirait dans mon cou, je sentais son souffle. Elle se faisait légère, et pourtant j’avais l’impression de porter sur mon dos tout ce que je venais de quitter et tout ce qui avait déjà disparu, les visages aimés, les voix, les pièces pleines des objets accumulés au cours des années, le coussin sur lequel je couchais ma fille quand je l’allaitais, le collier hérité de ma mère et son cahier de recettes, les tasses dont il ne restait plus que des tessons, le vase en verre qui avait volé en éclats au premier souffle des bombardements, j’en avais ramassé un éclat, j’aimais tellement ce bleu, et je l’avais gardé, rangé au fond de mon sac à dos, sans savoir pourquoi.
Peut-être serais-je obligée de le jeter dans les vagues pour que le monstre accepte de nous laisser vivre. Mais c’était une idée d’enfant, une idée d’avant, quand le fil des légendes brillait encore dans la trame de notre vie.
Qui s’était déchirée. Et qui ne pourrait jamais être réparée.
Quand nous sommes entrés dans le camp, je ne m’y étais pas habituée, pas encore, mais mes vêtements et mes cheveux en étaient déjà imprégnés. Elle nous accompagnés comme une chienne malade et trop fidèle. Excréments, déchets pourrissants, fumée, eau croupie. Milliers de bouches mâchant une nourriture insipide ou simplement la faim, la colère, la fatigue. Milliers de corps transis de froid. Milliers de mains tendues – vers nous, vers eux… Eux qui, désormais incarnaient le pouvoir.
(page 85)
Un peu de jour filtrait encore par les trous de la bâche, je voyais les têtes en face de moi, osciller en cadence, oui, signifiait-elles, oui, je suis d’accord. Faites de moi ce que vous voulez, vous aurez tout, mon argent, mes prières, ma reconnaissance. Je ne sentirai rien, ni la soif, ni la faim, ni la saleté lentement cristallisée sur ma peau, accumulée entre mes orteils et sous mes ongles. Je ne crierai pas. Mon corps évidé ne demandera plus à se soulager. Mes yeux se fixeront sur le néant, ouverts et aveugles.
J’oublierai.
(page 11)
Dans 'Le Pays aux longs nuages' (Marabout), Christine Féret-Fleury raconte l'histoire d'une reconstruction en Italie, celle de deux femmes, Acia et Kamar. Acia est italienne et cherche un sen sà sa vie, Kamar est syrienne et a dû fuir son pays. Elles vont se retrouver et se lier autour de la cuisine, et de tout ce qui fait le charme de ce pays. L'autrice nous en dit plus dans cette vidéo, à travers 5 mots.
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