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EAN : 9782757898017
216 pages
Points (09/06/2023)
3.71/5   153 notes
Résumé :
« Les petites joies ne font pas de bruit, elles ne s’annoncent pas à grand fracas de cuivres comme les réussites éclatantes, mais elles sont là, blotties dans les interstices, entre deux échecs […]. Si discrètes qu’il faut les débusquer, les prendre contre soi, les protéger du vent. Si fugaces qu’elles ne laissent dans la mémoire qu’une ombre de douceur. Mais c’est avec ces douceurs-là qu’on réussit à survivre. »

En Italie, Acia se retrouve sans proje... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (79) Voir plus Ajouter une critique
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De moments douloureux aux bonheurs les plus simples sur fond de recettes de cuisine toutes plus délicieuses les unes que les autres, le pays aux longs nuages, de Christine Féret-Fleury, m'a emporté de Syrie en Italie.
Acia et Kamar s'expriment chacune à leur tour, à un rythme régulier. Si la première est un peu paumée, parle italien mais rêve en français, l'autre vit de terribles journées après avoir connu les horreurs de la guerre que les hommes s'ingénient à créer ou à entretenir.
Kamar n'est pas seule. Elle est avec sa fille, Hana, qu'elle protège avec le plus grand soin. Toutes les deux, elles ont fui un pays bouleversé par les bombes, les snipers qui sèment la mort. Assâad, le mari de Kamar, parti chercher de l'eau, n'est jamais revenu.
Maintenant, à Izmir, en Turquie, Kamar et Hana cherchent à fuir pour gagner l'Europe de l'Ouest. Elles qui n'ont jamais vu la mer, sont effrayées, ont peur qu'elle les avale.
De son côté, Acia se trouve à Naples où le restaurant qui l'employait, a fermé. Elle qui rêvait de s'exprimer en cuisine, ne le pouvait pas à cause du patron, Fabrizio, un macho de première catégorie. À 37 ans, elle se retrouve au chômage depuis trois semaines. Alors, elle décide de partir à l'aventure avec sa Fiat, accompagnée d'un Chat qui a imposé sa présence.
À Izmir, Kamar et Hana vivent ce que des milliers de réfugiés ont vécu ou vivent encore : les passeurs qu'il faut payer grassement, un bateau peu sûr où elles sont entassées avec d'autres hommes, des femmes et des enfants.
Hélas, l'aventure n'est pas un succès car un garde-côte les intercepte et les voilà enfermées dans un camp. Une cuillère en bois sculptée par sa grand-mère est l'objet le plus précieux qu'elle préserve jalousement. Pour survivre, elle a son amour pour sa fille, pour Assâad et les recettes de cuisine de cette même grand-mère qu'elle se répète inlassablement.
Je ne peux dévoiler la suite mais simplement dire que le roman de Christine Féret-Fleury est plein d'une sensibilité à fleur de peau. C'est aussi un bel hommage aux femmes qui font preuve d'un courage extraordinaire tout en accomplissant les actes les plus simples.
L'alternance entre Kamar et Acia m'a attaché au sort de ces deux femmes qui… Leurs confidences, leur récit, leurs souvenirs sont complétés par une certaine Nebbe. Elle vit sur fauteuil roulant, à Palazzo, près d'Assise. Son osteria se trouve dans un état lamentable. Vivant seule, elle a rangé quantité de souvenirs dans une chambre, à l'étage.
Avec un sens du suspense bien maîtrisé, par petites touches révélatrices, Christine Féret-Fleury me conduit peu à peu vers un dénouement que j'espère positif et toujours avec quantité de recettes de cuisine italienne et orientale qui m'ont bien mis l'eau à la bouche. Qu'est-ce que j'aurais aimé déguster cette salsiccia, saucisse sèche, spécialité des Pouilles ! Il y a aussi les carciofi alla giuda (artichauts à la juive) qui doivent être servis dès qu'ils sortent de la friture ou encore le mutabel shawandar (purée de betteraves syrienne) qui rappelle à Kamar ses journées d'anniversaire ou ses pique-niques d'étudiante…
Quant au vin, le trebbiano d'Abruzzo, bien frais, serait le bienvenu en ces temps de canicule. Dans le pays aux longs nuages, il y a bien d'autres recettes mais aussi quantité de souvenirs souvent malheureux que Kamar et Acia font remonter à la surface.
Grâce à Babelio et aux éditions La Belle étoile que je remercie, j'ai pu découvrir un roman très actuel aux péripéties souvent décrites dans l'actualité mais avec des surprises et une tendresse parfaitement écrites. Bref, comme les vieux de Palazzo, je me suis régalé !

Lien : https://notre-jardin-des-liv..
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Je ne vais pas m'étendre sur ce roman plus que de raison, je suis passée à côté. Une histoire polyphonique où s'entremêle le destin de trois femmes : Kamar migrante qui fuit la Syrie, Acia fraîchement sans emploi et Nebbe à son fourneau.

L'histoire certainement a de quoi séduire mais je suis restée hermétique tant au fond qu'à la forme que j'ai trouvée anormalement mielleuse et poétique malgré la gravité des thèmes abordés. Je ne suis pas parvenue à m'attacher à aucun des personnages. Ce fut pour moi, trop enrobé, trop rempli de phrases un peu bateau (bateau pour moi, sûrement magnifiques pour d'autres).

« Les petites joies ne font pas de bruit, elles ne s'annoncent pas à grand fracas de cuivres comme les réussite éclatantes, mais elles sont là, blotties dans les interstices, entre deux échecs, une rupture et un licenciement, une humiliation et une gifle, au revers de la vie, en quelque sorte. Si discrètes qu'il faut les débusquer, les prendre contre soi, les protéger du vent. Si fugaces qu'elles nous laissent dans la mémoire qu'une ombre de douceur. Mais c'est avec ces douceurs-là qu'on réussit à survivre. »

Que ce passage vous inspire ou vous séduise. Certains rendez-vous littéraires se ratent, il ne faut pas se formaliser ni se fier à un avis mitigé. Car tout est question de sensibilité, de timing, d'humeur.

Merci à Babelio et aux éditions La belle étoile de m'avoir adressé ce livre dans le cadre d'une masse critique privilégiée.
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Un grand merci à Babelio , à l'auteure , Christine Féret- Fleury et aux éditions " la belle étoile " pour l'envoi de ce livre qui, recu dans le cadre d'une masse critique privilégiée ....Bon , stop ! Pas de " bla - bla " ,y'a pas MMA mais .... Débuté dés le passage du courrier , j'avais terminé cette lecture AVANT le passage du courrier du lendemain ..c'est dire . Me débarrasser pour écrire ma critique et passer à autre chose ? Mais ça va pas ? Non . Bien que " plongé " dans une période plutôt moyenne au niveau de la lecture , ce livre a su me séduire au point de ....Ah , ça faisait longtemps .....Ben oui , amies et amis , j'ai aimé. Adoré ? Peut être pas , mais , vraiment , il n'est pas mal ce bouquin . Il y a Acia , une femme qui , obligée de quitter son emploi , trouve un livre de cuisine sur un banc et ...un chat , plus loin .
. Oui , un chat dont on va entendre parler , croyez - moi .Ça, c'est en Italie mais ça aurait pu être ailleurs .... Bon , ensuite , il y a Kamar et sa fille Hanna : Syrie , Bachar , péril , fuite "grâce " à de " généreux " passeurs ( ordures ....mais j'assume , vous aussi bientôt ) vers l'Europe salvatrice .Deux récits parallèles. Pas larmoyants , non , dignes ....Et puis , Nebbe ...Alors là , difficile à définir, hein , Nebbe . Tantôt vachement désagréable, tantôt vachement sympa mais , dans sa cuisine , c'est l'odeur du bonheur qui va s'installer ....Des histoires , des drames, et trois femmes réunies par une passion sous le regard de la petite Hanna , frappée l'aphasie jusqu'à....Compliqué ? Raconté par moi , pas de problème, c'est pas terrible , je reconnais et j'assume ....Mais raconté par Christine Féret-Fleury , c'est beaucoup , beaucoup mieux : touchant , émouvant , sans pathos et la fin , sans vous laisser sur votre faim ( ça fait longtemps que je la cherchais , celle - là ) , laissera travailler votre " moi intérieur " .Beaucoup de femmes dans cette histoire .Trop ? Ben non , voyons . le contexte l'exige . Et puis, l'un des ( rares ) hommes cités disparaît avec....la caisse du magasin . Livre pour " filles " ? ( j'ai du mal à accepter de vieillir ) , non . Une sorte de " beau , très beau conte " qui vous retient dans ses filets , pour moi , une belle découverte, facile à lire , plus profonde qu'elle n'en a l'air.....Je me suis laissé porter et j'ai dérivé vers ....un monde que l'on dit disparu ... Ou en voie de disparition ..
On peut voir ce que l'on veut , ce que l'on regrette , ce que l'on espère. Présent, passé, futur constituent une trame multicolore qui fait ...le sel de la vie.
J'ai beaucoup aimé. Que dire d'autre ? Mon avis ne représente que moi mais je pense que ce livre pourrait " embarquer " nombre de mes amies et amis babeliotes. Quels beaux portraits de ....femmes . " Femmes, je vous aime " chante Julien Clerc .Celles de ce roman , sans aucun doute ,vous allez vous lier à elles , les aimer , elles sont ...sublimes ( pas faciles non plus , hein , faut pas exagérer ) et , forcément on les aime ...pardon ...on les adore , vraiment .
Encore merci à tous pour cette belle découverte et ...ce bon moment de lecture et d'évasion.
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Le pays aux longs nuages, c'est l'Italie, plus précisément l'Ombrie : « ce pays où les nuages ressemblent à de lents vaisseaux, peu pressés d'arriver au port. », et en Ombrie, le village de Palazzo, non loin d'Assise, Assise où un certain François parlait aux oiseaux, ceux-là même que l'on retrouve sur les assiettes de l'osteria, du village. C'est là que vont se trouver réunies trois femmes venues d'horizons bien différents., par le hasard, ou par le destin, ou plutôt par un chat, le Chat « Un chat des bas quartiers, qui en a vu des vertes et des pas mûres, qui trône sur la pierre lézardée comme si celle-ci avait été le socle d'une statue antique ».

L'ancienne, c'est Nebbe, la patronne de l'osteria. Elle est en fauteuil roulant. Blessée au bras, elle ne peut plus cuisiner et l'auberge se délabre. Je l'ai tout de suite imaginée, cette vieille femme, sèche, un peu rabougrie, au fond de son fauteuil, mordant plus souvent qu'à son tour, pour cacher sa bonté. C'est sans conteste celle que j'ai préférée.
Celle qui arrive ensuite, c'est Acia. Plus de travail, elle ne sait où aller. C'est elle que le chat adopte en premier, pour la mener à ce mystérieux cahier de recettes, qui la conduira à Palazzo, dans l'osteria de Nebbe.
La dernière, Kamar, n'est pas seule. Elle est accompagnée de Hana, sa fille qui ne parle plus, pas par timidité, mais parce que les mots ne veulent plus sortir, après trop de malheurs. Elles sont syriennes, ont connu la guerre, la mort, l'exil, les passeurs, la traversée de la mer dans une embarcation de fortune, un camp de réfugiés, qu'elles ont pu fuir par miracle.

Il y a beaucoup de hasards dans ce livre, ou devrait-on dire à l'égal de Paul Éluard, des rendez-vous. Ces trois femmes vont ensemble redonner vie à l'osteria et se redonner de l'espoir. Elles y avaient rendez-vous, il faut croire.
Elles sont toutes les trois cuisinières, chacune nous livre quelques-unes de leurs recettes fétiches, qu'elles vont réaliser pour les vieux de Palazzo. J'aurais aimé être petite souris pour gouter à ce repas, quoique petite souris avec ce chat qui trône, ce n'est peut-être pas une bonne idée.
Cuisiner, c'est se souvenir des recettes apprises, c'est réveiller en soi l'enfant qu'on a été et qui léchait les plats, c'est retrouver l'héritage de sa famille et de ceux qui nous ont croisé, avec qui on a partagé des repas. Cuisiner, c'est donner de l'amour.
Un immense merci à Babelio et aux éditions La Belle Étoile pour ce beau cadeau reçu lors d'une masse critique privilégiée.
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Deux jeunes femmes, l'une syrienne qui fuit la guerre avec sa fille de 9 ans désespérément mutique, l'autre en errance en Italie après avoir perdu son emploi dans une osteria à cause d'un patron indélicat. Un chat obstiné, un livre de recettes écrit par de multiples cuisinier(e)s, une cocotte, une cuillère en bois sculpté, une Fiat hors d'âge qui va nous emmener jusqu'en Ombrie, au pays de Saint François d'Assise, celui qui parlait aux animaux. Voici quelques-uns des ingrédients de ce roman où les saveurs orientales vont croiser les petits artichauts italiens, où les herbes aromatiques méditerranéennes vont emporter nos sens et accompagner les voyages bien différents d'Acia l'italienne et de Kamar la syrienne.

C'est avec Kamar que commence la longue route qui va nous mener d'Alep à Izmir, puis en Italie. Une route jalonnée de terreur, terreur sous les bombes qui lui ont pris son mari tant aimé, terreur dans ce frêle canot gonflable censé les amener en Grèce, mais qui n'y parviendra jamais, terreur des garde-côtes, sauveurs ou ennemis ? Puis terreur des camps où il ne faut jamais se déplacer seule, tant de prédateurs y rôdent...
Pendant ce temps, Acia poursuit elle aussi son chemin, elle qui voudrait tant se fixer quelque part et exercer ses talents de cuisinière paisiblement. Mais hélas, la vie n'a pas été tendre avec elle non plus, même si son histoire n'est de loin pas aussi tragique que celle de Kamar. le livre de recettes abandonné sur un banc qu'elle a récupéré a décidé de son itinéraire : elle ira à Palazzo, retrouver le dernier contributeur de ce mystérieux ouvrage. Et le Chat a décidé de l'accompagner, et on ne contredit pas un chat, toute personne partageant sa vie avec un de ces êtres le sait bien.

Je ne vous dévoilerai pas le reste de l'histoire, sachez juste qu'une troisième femme, surnommée Nebbe, et pas franchement amicale de prime abord, va jouer un rôle primordial dans la destinée de nos héroïnes. D'hommes il ne sera pas souvent question, mais l'Italie réserve parfois de belles rencontres !

L'écriture est primordiale dans ce roman, elle fait appel à tous nos sens et nous immerge complètement dans le vécu d'Acia et de Kamar. Je suis très sensible à cette poésie dans les évocations culinaires, certains d'entre vous l'ont peut-être déjà remarqué dans de précédentes critiques. Et ici, c'est bien souvent des souvenirs de recettes concoctées avec amour en famille qui fait "tenir" dans les moments difficiles. Il n'y a qu'à voir ce que chacune de ces femmes va emporter dans son périple : pour Kamar, une cuillère en bois sculptée héritée d'une lointaine ancêtre et donnée par sa tante. Pour Acia la cocotte en fonte de sa grand-mère qui l'a accompagnée dans toutes les épreuves. Hautement symbolique !
Les chapitres sont courts, donnant la parole à Kamar et Acia tour à tour. le rythme est soutenu, pas de temps mort. Pas de larmoiement non plus, même dans les épreuves les plus tragiques, Kamar n'a qu'une idée en tête : sauver sa fille Hana à tout prix, pas le temps de s'apitoyer sur son sort. Acia connaît des moments de découragement, mais elle aussi avance sur la route comme dans sa vie, opiniâtrement.

Je n'ai pas réussi à m'attacher complètement à ces femmes, il m'a manqué un petit zeste de quelque chose, peut-être parce qu'elles sont tellement isolées des autres pendant une bonne partie du récit, sans interaction autre qu'avec Hana pour Kamar, avec le chat pour Acia. Ce qui explique l'étoile manquante, pour ce livre qui aurait pu être plus approfondi, plus marquant, comme par exemple "L'apiculteur d'Alep" l'avait été pour moi.

Une belle découverte cependant, dont je remercie Babelio et La Belle Etoile.
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Citations et extraits (71) Voir plus Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)
Kamar
En premier, c’était le bruit – ce bruit. Nous étions partis depuis des heures, la nuit était tombée, impossible de compter. Et ils m’avaient pris mon téléphone dès le début, parce que le prix du passage avait augmenté, une femme seule avec une gamine, c’est dangereux, plus cher, ils insistaient. J’ai protesté, vous étiez d’accord, mon oncle vous a payés… Ils ont simplement ri, une main s’est tendue vers les cheveux de ma fille, une autre vers moi, je les ai repoussées et je leur ai donné ce qu’ils exigeaient. Je n’avais pas le choix.
Depuis que les fourgonnettes s’étaient arrêtées devant nous en projetant sur nos chevilles une giclée de poussière, j’avais peur. Les chauffeurs ne sont même pas descendus, une main a donné une claque sèche sur la portière ; mon oncle s’est avancé pour ouvrir la porte du véhicule le plus proche. Il m’a fait signe de monter. Je l’ai regardé. Le blanc de ses yeux était strié de veinules rouges, le bord de ses paupières tout fripé, comme desséché de l’intérieur. Un morceau de tissu brûlé autour de son regard triste. Je me suis détestée de m’accrocher à ça ; il y a tant de façons de dire adieu, celle-là était la pire, rester muette, mon enfant serrée contre moi, ne pas trouver une seule larme à lui offrir, pas un mot, même pas un semblant de sourire.
Il s’est baissé, a soulevé Hana – les toutes dernières secondes, je n’ai pas pu les retenir, elles se sont dissoutes dans le rugissement des moteurs. J’ai peut-être posé le front sur la toile rêche de sa veste, respiré une dernière fois son odeur de vinaigre et de cumin, l’odeur de ma cuisine et de celle de ma tante ; j’ai peut-être trouvé là, dans ce souvenir des jours heureux, de quoi mouiller mes yeux.
Ça n’a pas duré. Pour pleurer, il faut en avoir le temps, il faut être seul et laisser le chagrin venir. Et du temps, je n’en avais pas. Pour Hana, je devais me durcir, comme la lame d’un couteau, capable de percer et trancher, de nous ouvrir une voie. Vers quoi ? Je n’arrivais même pas à l’imaginer. Un abri où respirer, écarter la peur.
Et pleurer, oui, comme ce serait bon, alors, de pleurer.

Nous étions nombreux dans la fourgonnette, plusieurs familles, un bébé criait, la femme qui le tenait lui donnait à téter un coin de tissu mouillé. Trempé dans de l’eau sucrée, peut-être. Elle n’était pas sa mère, cela se voyait. Je n’ai pas osé demander ce que celle-ci était devenue, tant de choses avaient pu se produire, tant de drames, chacun gardait le sien bien plié sous ses vêtements et se taisait. L’enfant, lui aussi, a fini par se taire, hoquetant à petits sanglots épuisés. Il apprenait. À rester silencieux, à se faire petit. Un peu de jour filtrait encore par les trous de la bâche, je voyais les têtes, en face de moi, osciller en cadence, oui, signifiaient-elles, oui, je suis d’accord. Faites de moi ce que vous voulez, vous aurez tout, mon argent, mes prières, ma reconnaissance. Je ne sentirai rien, ni la soif, ni la faim, ni la saleté lentement cristallisée sur ma peau, accumulée entre mes orteils et sous mes ongles. Je ne crierai pas. Mon corps évidé ne demandera plus à se soulager. Mes yeux se fixeront sur le néant, ouverts et aveugles.
J’obéirai.

À mesure que les kilomètres défilaient, ma langue gonflait dans ma bouche, couverte de cette poussière salée jaillie du sol piétiné. Je ne voulais pas boire, pas encore, je gardais l’eau de la petite gourde donnée par ma tante pour Hana, quand elle se réveillerait. De l’eau du puits dans laquelle elle avait plongé une de ses dernières feuilles de menthe séchée, conservée dans un sachet de gaze à l’abri des insectes. « La menthe, m’avait-elle chuchoté bien des fois, est l’amie de la cuisinière. Quand je prépare un repas spécial, je frotte la table avec de la menthe. Son parfum éveille l’appétit, elle fait le ventre léger et la conversation agréable. Garde toujours de la menthe sur toi, kbida. »
Une seule feuille. Je ferais boire ma fille, et ensuite je m’accorderais une gorgée, une merveilleuse gorgée. La maison que je venais de quitter y serait contenue tout entière, la maison d’avant, avec son jardin et sa cour ombragée, ses chambres fraîches, son dallage poli, doux aux pieds comme la caresse d’une paume enduite d’huile de nigelle. La maison délivrée de ses gravats et des bâches qui remplaçaient une partie du toit, celui qui avait été touché par une bombe quelques semaines plus tôt.
La maison.
Il ne fallait peut-être pas boire cette eau. La moindre goutte suffirait à faire vaciller ma résolution. Je me voyais serrer Hana contre moi, me lever, enjamber les corps affaissés et sauter de la camionnette, je me voyais courir sur la route poudreuse, mon voile flottant derrière moi. Je nous voyais aussi couchées derrière un talus, mortes. Tant d’autres n’étaient pas allés jusqu’au bout du voyage. Les passeurs n’attendaient personne, et ils n’avaient aucune pitié. Nous le savions tous, même si nous faisions semblant de l’ignorer. Même si les rares phrases qui circulaient exprimaient un optimisme forcé : tout irait bien. La traversée serait courte. Nous serions bien accueillis. Ceux qui ont envie de travailler trouvent toujours un emploi, un toit, un coin de terre. Mon père le disait souvent, et il savait de quoi il parlait, mon père, il n’avait pas pris un jour de repos de toute sa vie. La mort l’avait saisi au coin de son champ, une pierre dans chaque main. En tombant, il ne les avait pas lâchées. Il ne voulait pas, probablement, qu’elles s’enfouissent à nouveau, gâchant une minute de dur labeur.
Les mères ne cessent de prier pour leurs enfants, et qu’importe le dieu auquel elles s’adressent, qu’importe même si elles implorent un ciel vide. Pendant des mois, j’ai prié, le cœur dévasté, pour que ma fille me soit enlevée, qu’elle vive en paix loin de moi, de ce pays ravagé. J’ai prié aussi pour ne jamais la quitter du regard, pour mourir avec elle s’il le fallait, avant elle, pour ne jamais voir couler son sang. Aujourd’hui, je veux seulement qu’elle ne sente pas le froid de la nuit. Quand les véhicules ont stoppé, je l’ai enveloppée dans une chemise de son cousin, trop grande, j’ai noué les manches autour de sa taille, soufflé dans le col qui bâillait, elle serait réchauffée, habillée de mon haleine. Je ne pouvais pas lui donner plus.

Mes pieds ont repris contact avec le sol. J’ai cru qu’il pleuvait, mais la bruine qui humectait mon visage avait un goût salé. Machinalement, j’ai léché mes lèvres. Pas de quoi apaiser ma soif, surtout avec le sel, juste de quoi imaginer que le renflement de ma chair était comestible, tendre et saisi à point, que je pouvais y mordre pour me réconforter. Depuis combien de temps n’avais-je pas préparé et savouré un vrai repas ?
Quelqu’un a crié un ordre, et nous avons commencé à marcher dans l’obscurité, vers cette rumeur grandissante, rythmée. Je savais que c’était la mer mais aucune image ne me venait, je ne l’avais vue qu’une fois, elle était bleue, luisante et docile, et venait lécher mes pieds nus comme un chat familier. Nous avions pique-niqué sur la plage, les enfants couraient, tête levée vers un cerf-volant dont les rubans frissonnaient et claquaient. Cette nuit, c’était un monstre qui bramait sa faim, il nous attendait, la gueule ouverte, prêt à nous avaler. Les genoux d’Hana pressaient ma taille, elle respirait dans mon cou, je sentais son souffle. Elle se faisait légère, et pourtant j’avais l’impression de porter sur mon dos tout ce que je venais de quitter et tout ce qui avait déjà disparu, les visages aimés, les voix, les pièces pleines des objets accumulés au cours des années, le coussin sur lequel je couchais ma fille quand je l’allaitais, le collier hérité de ma mère et son cahier de recettes, les tasses dont il ne restait plus que des tessons, le vase en verre qui avait volé en éclats au premier souffle des bombardements, j’en avais ramassé un éclat, j’aimais tellement ce bleu, et je l’avais gardé, rangé au fond de mon sac à dos, sans savoir pourquoi.
Peut-être serais-je obligée de le jeter dans les vagues pour que le monstre accepte de nous laisser vivre. Mais c’était une idée d’enfant, une idée d’avant, quand le fil des légendes brillait encore dans la trame de notre vie.
Qui s’était déchirée. Et qui ne pourrait jamais être réparée.
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Quand nous sommes entrés dans le camp, je ne m’y étais pas habituée, pas encore, mais mes vêtements et mes cheveux en étaient déjà imprégnés. Elle nous accompagnés comme une chienne malade et trop fidèle. Excréments, déchets pourrissants, fumée, eau croupie. Milliers de bouches mâchant une nourriture insipide ou simplement la faim, la colère, la fatigue. Milliers de corps transis de froid. Milliers de mains tendues – vers nous, vers eux… Eux qui, désormais incarnaient le pouvoir.
(page 85)
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Voilà. C’est comme ça que débute la grande dégringolade : on se met à parler à un chat, ou à un ridicule petit chien pourvu d’un manteau écossais et de petites bottines imperméables pour l’hiver. À brève échéance, c’est l’hôpital psy, la télé allumée en permanence, les séances d’art-thérapie, puis, à la fin de tout ça, l’urne funéraire proposée en dix modèles dans le catalogue des pompes funèbres, du plastique moulé en faux marbre de Carrare.
(page 53)
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Depuis un moment, j'avais l'impression que le moteur émettait un bruit bizarre. Une sorte de grondement. Ou de vrombissement. Pourvu que ce vieux clou ne tombe pas en panne ! Je n'avais pas besoin de ça. J'ai trituré le rétroviseur, donné un coup du plat de la main sur le tableau de bord, mais le bruit semblait gagner en intensité. Je me sui rangée sur le bas-côté et j'ai coupé le contact.
Le bruit ne venait pas du moteur, mais du chat. Il ronronnait.
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Un peu de jour filtrait encore par les trous de la bâche, je voyais les têtes en face de moi, osciller en cadence, oui, signifiait-elles, oui, je suis d’accord. Faites de moi ce que vous voulez, vous aurez tout, mon argent, mes prières, ma reconnaissance. Je ne sentirai rien, ni la soif, ni la faim, ni la saleté lentement cristallisée sur ma peau, accumulée entre mes orteils et sous mes ongles. Je ne crierai pas. Mon corps évidé ne demandera plus à se soulager. Mes yeux se fixeront sur le néant, ouverts et aveugles.
J’oublierai.
(page 11)
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Vidéo de Christine Féret-Fleury
Dans 'Le Pays aux longs nuages' (Marabout), Christine Féret-Fleury raconte l'histoire d'une reconstruction en Italie, celle de deux femmes, Acia et Kamar. Acia est italienne et cherche un sen sà sa vie, Kamar est syrienne et a dû fuir son pays. Elles vont se retrouver et se lier autour de la cuisine, et de tout ce qui fait le charme de ce pays. L'autrice nous en dit plus dans cette vidéo, à travers 5 mots.
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