Ceux-là ne ramassaient pas seulement les cartons, ils vivaient parmi eux. Une famille entière, anonyme, recyclée elle aussi.
"Un mort, c'est un chagrin; un million, une information." Trente mille: c'était le nombre de disparus.
..on a été expulsés de nos terres , elle ajouta. Une multinationale italienne..
-- United Colors ?
-- Oui. On ne devait pas avoir la bonne....( p 249)
Le temps s'effaçait, une vie de crayon de papier.
Paula avait raison au sujet de Calderón - une pure élégance comparée à ses fripes, et deux yeux anthracite piqués de petites fleurs myosotis dont l'éclat bleu translucide la laissa sans voix. On aurait dit qu'il venait de pleurer...
- Je vous dérange peut-être ?
- Non, mentit-il. Je ne vous aurais pas fait monter.
Jana se détendit un peu.
- Calderón, c'est votre vrai nom : comme le poète ?
Le détective releva les sourcils.
- Vous connaissez ?
Jana haussa les épaules. La poésie noire de Daniel Calderón l'avait bercée dans les ténèbres - et leur avait tordu le cou. L'écrivain avait disparu pendant le Processus, comme Haroldo Conti, Rodolfo Walsh... Torturés, battus, liquidés.
Rubén n'avait pas envie de parler de son père.
- On ne peut pas tout.
- Il faut d'abord le vouloir. Et moi je veux.
Venger les morts ne les fait pas revenir.
Début du millénaire, ici sur Terre : avis de gros temps pour les faibles, les vulnérables, les mal blindés.
Jana était mapuche, fille d'un peuple sur lequel on avait tiré à vue dans la pampa.
La police argentine était considérée comme une bande rivale par les malfrats et les gangs, un groupe armé chargé de protéger la haute délinquance de la petite. Une porosité ténue : les armes tournaient dans des circuits illégaux en connexion avec la police et l’armée, les jeunes zonards arrêtés étaient sévèrement battus avant de négocier leur liberté en échange d’une partie ou de la totalité de leur larcin : la maigreur de ces derniers expliquant la propension des flics à les liquider, passer à l’ennemi était un moyen pour les délinquants de gagner de l’argent « légalement », et accessoirement de sauver leur peau.