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Citations sur Dans la main de l'ange (37)

Les citoyens s’y abordent plus facilement et y nouent des relations plus spontanées que s’ils avaient à se rendre les uns chez les autres, à presser sur un bouton de sonnette, à franchir le barrage d’une porte. Quand il faut rendre visite à un ami, ce n’est déjà plus tout à fait un ami, c’est « un autre » que tu as l’impression de déranger, même s’il ne te fait pas attendre et t’ouvre aussitôt ses bras. Sous le portique, la distinction entre « les uns » et « les autres » s’abolit. Chacun est disponible pour tout le monde. Chacun abandonne au plaisir d’être ensemble le souci d’être soi. Les vies privées se décloisonnent, les égoïsmes fondent. On perd son identité particulière au profit d’une douce et chaude sensation de camaraderie et de solidarité.
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À la place de l’ancienne Italie, qui veillait jalousement sur la virginité des filles et prohibait les relations entre les sexes, je voyais une nouvelle Italie, moderne et permissive, à l’américaine, où chaque samedi soir on se rendait les uns chez les autres avec sous le bras une pile de mambos et de madisons. Embourgeoisement, conformisme et pénurie d’imagination. Mais peu m’importait, pour être sincère, cet aspect-là du changement. Je devinais avec terreur une conséquence autrement grave qui ne manquerait pas de se produire. Il s’agissait de quelque chose qui changerait radicalement ma vie, et finirait par la rendre impossible. J’hésitais à formuler cette menace en termes brutaux, retenu par la peur superstitieuse d’en hâter l’accomplissement. Mais enfin, comment nier l’évidence ? Les garçons, dans cette Italie émancipée, ne seraient plus d’un abord aussi facile. Ils allaient m’échapper. J’aurais de plus en plus de mal à en trouver de disponibles. Sur la plupart des jeunes élevés dans la société d’abondance ne pèseraient plus, comme raisons de me suivre, les contraintes et les frustrations qui jusqu’à présent m’assuraient de leur complaisance. Si les filles se mettaient à sortir librement ; si, comme je le constatais chaque jour, les couples non mariés n’avaient plus à braver l’opinion ; si, avec l’effritement des conventions familiales et religieuses, l’autre sexe n’était plus hors d’atteinte derrière des murs infranchissables, je pouvais être sûr que les règles de la concurrence joueraient de moins en moins souvent en ma faveur, et que mon territoire de chasse, jusque-là illimité, se rétrécirait dans des proportions dramatiques. L’appât de la nourriture, mon meilleur auxiliaire autrefois, deviendrait lui-même inutile. L’époque où ils étaient si fauchés que pour se faire payer une pizza ils ne regardaient pas trop aux services qu’on leur demandait, cette époque avait bel et bien disparu. Un désastre pour moi. Victime des allocations familiales, je n’aurais plus qu’à me réjouir sottement de voir tout le monde manger à sa faim.
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La mort de Paul, moi, m’intriguait au plus haut point. Pourquoi n’avait-elle jamais intéressé les peintres ? Pourquoi la légende ne s’était-elle pas emparée de son martyre ? Il fut décapité, à ce qu’il semble, la même année que Pierre, en même temps que lui, dans la fournée des victimes envoyées au supplice par Néron. Mais autant les tortures infligées à l’un ont enflammé l’imagination populaire, autant le calvaire de l’autre ne soulève ni curiosité ni pitié.

Tous les premiers saints ont laissé un souvenir glorieux de leur mort. La lapidation d’Etienne, l’énucléation de Lucie, la décollation de Jean Baptiste, l’écorchement de Bartholomé remplissent des milliers de fresques et de tableaux. À tous le supplice fut donné comme une apothéose. Les flammes et le glaive à Janvier, ton patron, le gril à Laurent, les lions à Blandine, les flèches à Ursule et à Sébastien. À tous sauf au missionnaire de Tarse. Je ne comprenais pas cette exception. Il me semblait que son histoire n’était pas finie, qu’il manquait une pièce. Après tant d’outrages et de mortifications, il aurait eu droit plus que quiconque à une fin spectaculaire. On ne se rappelait de sa vie que les extases, les miracles, les prêches, les victoires : mais l’échec final, l’agonie, la dérision et l’humiliation du billot ? Son scandaleux passage sur la terre méritait de laisser un autre souvenir que l’image d’un visionnaire et d’un exalté. Ni goutte de sang ni trace de cadavre. Le Seigneur l’avait rappelé tout doucement au ciel, sans lui permettre de frapper le monde par une note éclatante d’infamie.

Je sentais là une véritable injustice : peu à peu, j’en vins à me dire que c’était mon devoir de la réparer. L’histoire demeurée en suspens de Paul, à moi d’y apporter le complément nécessaire. La mort ignominieuse dont Dieu l’avait spolié, je la subirais à sa place. Je ne savais pas quand ni comment. Longtemps les seuls dangers que je courus furent les citations en justice, les saisies de mes livres et de mes films. Du jour où je ne me suffis plus de ces tracasseries, où j’ai commencé à risquer non plus mon travail mais ma peau, de ce jour date ce que j’appelle la victoire de Paul. Il pouvait compter sur moi : j’étais prêt à endurer des sévices inouïs pour redorer son auréole. Je rêvais que des bourreaux hilares m’assassinaient au bord d’une route et profanaient ma dépouille avant de l’abandonner dans la poussière du talus.
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Autre bienfait du portique : il unit l’espace privé de l’habitation à l’espace public de la promenade. Moyen non seulement d’égalisation mais de communication sociale, il constitue une sorte de pièce ouverte à tous, de long corridor qui n’appartient à personne, un lieu de passage, de rencontre et d’amitié. Les citoyens s’y abordent plus facilement et y nouent des relations plus spontanées que s’ils avaient à se rendre les uns chez les autres, à presser sur un bouton de sonnette, à franchir le barrage d’une porte. Quand il faut rendre visite à un ami, ce n’est déjà plus tout à fait un ami, c’est « un autre » que tu as l’impression de déranger, même s’il ne te fait pas attendre et t’ouvre aussitôt ses bras. Sous le portique, la distinction entre « les uns » et « les autres » s’abolit. Chacun est disponible pour tout le monde. Chacun abandonne au plaisir d’être ensemble le souci d’être soi. Les vies privées se décloisonnent, les égoïsmes fondent. On perd son identité particulière au profit d’une douce et chaude sensation de camaraderie et de solidarité.

Cette civilisation du portique a prévalu à Bologne, dès le Moyen Âge et seulement à Bologne, quand partout ailleurs la maison individuelle, de la demeure bourgeoise au palais aristocratique, manifestait la rivalité des classes, le pouvoir discriminateur de l’argent, la volonté de se singulariser, le goût du secret familial, le culte du coffre-fort et de l’alcôve.
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Les étudiants de 1968, qui couvriraient à leur tour de graffiti et d’inscriptions les parois de leurs amphithéâtres, retrouveraient d’instinct la supériorité de la communication improvisée, poétique et sauvage sur la presse écrite, qu’elle provienne de gauche ou de droite ; avec cette différence que, comme bonne nouvelle, ils trompetteraient les fallacieuses promesses d’une impossible révolution, tandis que moi, je faisais le compte précis et revigorant des blonds fleuves de froment sur le point d’affluer du fond des plaines ukrainiennes dans le blutoir des meuniers frioulans.
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Rude et saine concurrence, que de lutter contre le bourdonnement des mouches au-dessus des assiettes, la stridulation de la cigale invisible et le chant des oiseaux dans l’azur !
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La musique, qu’on la produise à l’orchestre, au piano ou au violon, qu’on la baptise nocturne, caprice, berceuse, barcarolle, n’exprime rien d’autre qu’elle-même...
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Ce n’est pas le sujet qui fait le prix d’un tableau, mais la combinaison des lignes et des couleurs.
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La jeunesse d’aujourd’hui, réaliste, efficace, diffère beaucoup de celle qui apporta il y a trente ans le succès à des romans d’aventures d’écrivains devenus très célèbres. Même les livres qui ont semblé longtemps, dans leur genre, des chefs-d’œuvre d’habileté romanesque et de prévision scientifique sont passés au rang de simples curiosités historiques, à présent que les sous-marins sillonnent toutes les mers et que les aéroplanes vrombissent dans tous les cieux. Sommes-nous encore à l’époque où un roman doit stimuler votre fils à s’enfuir de chez lui pour soustraire au bûcher la fille du maharadjah de Lahore ?
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Chaque maison se trouve reliée à ses voisines par un vestibule ininterrompu, de manière que celle du riche et celle du pauvre ne se distinguent pas du dehors. Les colonnes sont les mêmes pour tous, rondes, fortes, roses, les arcs en plein cintre (rarement en ogive) montent vers la clef de voûte devant la vitrine de la boucherie-charcuterie comme devant le portail à deux battants qui protège une cour patricienne. Si c’est une illusion dont il faut dénoncer la tromperie, avoue qu’il n’y a jamais eu plus splendide chimère que ces trente-cinq kilomètres de galeries couvertes estompant l’inégalité des fortunes.
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