Le déni accroissait l'outrage . La barbarie s'engrenait dans la barbarie. Le dégoût horrifié motivait l'escalade. L'innocence ,l'espérance,l'assurance, l'experience,l'identité, venaient se briser dans cette lutte traumatisante qui n'avait pas de nom.
Il est plus aisé de consigner la guerre en général que la guerre d’un seul soldat…
…Duel singulier et fatal où se mêlèrent le courage passionné d’un homme et la raison d’Etat, la conviction obstinée d’un accusé et la rancune d’un chef, la droiture d’un jeune officier et le machiavélisme d’un meneur politique, la pureté d’un conjuré et l’intransigeance d’une personne couronnée par son passé. Deux caractères d’exception, l’un idéaliste et l’autre réaliste se toisent avec la même rigueur (et une non moindre vigueur) d’un bord à l’autre d’un évènement tragique, dans une tourmente qui semble ne pouvoir trouver qu’une fin sanglante et partielle… »
Le Vieux Pays avait étendu ses principes spirituels vers la Terre du Sud. C'était une bénédiction.
Car tu n’étais pas le seul à désirer la mort politique du chef. Certains voulaient même sa mort tout court (pas toi, si tu pouvais l’épargner). La haine battait comme un cœur blessé dans le pays disloqué. Les derniers sursauts des partisans de l’Empire, autant que les actions terroristes simulées par les services secrets pour discréditer cette cause et la rendre impopulaire, désunissaient le pays.
...tu n'avais jamais pensé aux indigènes a qui aucune vie n'était donnée.
Par les diableries d'un souverain outragé, par sa machination judiciaire (qu'une narration partisane a refoulée aux bords du récit qu'elle en donne, renvoyant la victime dans l'espace nébuleux d'une improbable folie), un homme est mort qui faisait honneur à son pays. La salve a claqué dans l'air mouillé de l'aube. Le peloton s'est retiré pour toujours. Le silence d'une honte entoure ce sacrifice. C'est de cet épisode qu'il convient de faire la chronique, sans laquelle le temps pourrait le disputer à la mémoire.
Est-ce que l’on tue un homme dès lors qu’il existe une raison de ne pas le faire ?
Il fallait à tout prix justifier ta mort : on fit comme si on te l’accordait. Jean de Grandberger le comprenait bien ainsi : Paul Donadieu était un martyr volontaire à qui laisser la vie serait prendre l’honneur. Pauvre garçon ! On ne va pas lui faire une chose pareille, tuons-le au plus vite, c’est ce qu’il veut ! D’ailleurs le Vieux Pays adore les martyrs, il lui en faut de temps en temps, celui-là fera très bien l’affaire. Ces contorsions abstraites se disaient, s’écrivaient, se répétaient de ministère en ministère, dans le halo de gloire qui émanait du général. Ces raisonnements faussement subtils cachaient dans le nid de tes valeurs, qu’on avait perverties, l’œuf de vengeance que couvait Jean de Grandberger. L’œuf qui réclamait ton silence éternel.
Il y avait une vertu à désobéir si c’était pour l’honneur de son pays.
La politique désormais remplaçait l’héroïsme et la grandeur. Grandberger ne siégeait plus aux responsabilités suprêmes. Il s’était retiré des affaires et des luttes, furieux et empressé de se soustraire à leur médiocrité. Il avait quitté précipitamment la baraque. A ses alliés, il conseillait d’en faire de même. Il disait : L’essentiel en politique est de se retirer à temps. Il avait toujours appliqué ce principe. Claquer la porte quand il n’y avait plus rien à faire, voilà quel était son tempérament. Vous n’entendez rien ? Vous ne voulez rien savoir ? Eh bien, débrouillez-vous sans moi, je m’en vais ! Et je vous salue bien ! Ce fut un plaisir de vous connaître ! Les formules polies devenaient chez lui des missiles.