Mati est une petite fille de cinq ans qui parle beaucoup, surtout avec moi. Moi, je suis sa poupée. Son père vient d'arriver, il lui rend visite au bord de la mer tous les week-ends. Il lui a apporté un petit cadeau : un petit chat noir et blanc. Alors qu'il y a cinq minutes, Mati jouait avec moi, elle s'amuse maintenant avec le chat, qu'elle a appelé Minou.
Je suis là sur la sable, au soleil, et je ne sais pas quoi faire.
Tant qu'il y avait Mati, je pouvais m'adresser à n'importe quel objet, à n'importe quel animal, et ils me répondaient de façon claire et intelligible. Si des gens, des bestioles ou des choses nous embêtaient, nous poussions aussitôt de grands cris à l'unisson, et ils arrêtaient .
La Tempête est une dame avec une très longue robe bleu foncé. Elle a une couronne d'Éclairs autour de la tête et une voix tonitruante, car des Coups de Tonnerre sortent sans arrêt de sa grande bouche.
Je rassemble au plus vite tous les mots de Mati et les cache dans ma poitrine. Le seul qui reste, c'est le Nom qu'elle m'a donné.
Le Nom, effrayé, s'appelle lui-même :
- Celina!
L'Hameçon l'entend et tac!Il l'attrape et me l'arrache; ça fait terriblement mal.
L'Hameçon est petit comme une goutte de pluie, et il est attaché à un fil brillant de salive.
Il entre dans ma bouche, que je garde toujours ouverte. Je suis tellement remplie d'eau que je n'arrive pas à faire reculer mes mots à temps, à les cacher dans ma poitrine et dans mon ventre.
L'Hameçon en attrape un, et il tire. Les mots qui restent se serrent les uns contre les autres, terrorisés, formant une chaîne. Moi, je tire d'un côté, l'Hameçon tire de l'autre, et au milieu il y a les mots, tout tassés.
Je suis furieuse. J'ai perdu mon Nom, je ne veux rien perdre d'autre.
Avec ces mots, Mati et moi, nous avons été heureuses."