Je n'ai jamais aimé «
Madame Bovary ». Je l'ai lu deux fois pourtant. Je n'ai rien lu d'autre de
Flaubert, cette expérience m'ayant refroidie pour des années. Et puis, j'ai voulu vérifier, par la lecture d'une autre oeuvre, et revoir mon avis sur
Flaubert. J'ai acheté «
Bouvard et Pécuchet » au hasard. Je ne voulais surtout pas demander de conseils: on m'aurait logiquement indiqué le meilleur, et ce n'est pas ainsi que je souhaitais procéder. J'avais peut-être ce désir de me conforter dans ma première opinion sur
Flaubert. N'importe !
Bouvard et Pécuchet sont deux employés qui se rencontrent par hasard, sur un banc. Ils ont le même âge, exercent la même profession, ont les mêmes opinions et sont tous deux célibataires.
Bientôt, ils ne se quittent plus.
Et quand Bouvard hérite, ils quittent tous deux la ville afin de s'installer ensemble à la campagne. Et une idée leur vient: cultiver la terre. Pour cela, ils lisent des manuels sur l'agriculture et essuient un échec. La culture des légumes puis des fleurs ne rencontrent pas plus de succès. Ils deviennent la risée de leurs domestiques, sont moqués par leurs voisins.
Les deux « héros » sont deux cons, qui passent de discipline en discipline, d'ouvrage en ouvrage, mais qui ne semblent jamais rien apprendre pour autant ni tirer de leçons de leurs erreurs.
Après les travaux de la terre, c'est alors la chimie, puis la médecine, l'astronomie, la philosophie, l'archéologie et toutes sortes de disciplines qu'il étudient. Et les lectures de traités s'enchaînent, parfois se contredisant. N'importe : ils s'obstinent. Un temps seulement. Allant jusqu'à pratiquer la médecine avec un seul livre pour les aider aux diagnostics.
Et, un matin, soudain, la discipline les lasse, ils l'abandonnent et choisissent aussitôt un autre sujet d'étude. Ainsi, ils se croient successivement agriculteurs, médecins, ingénieurs, dramaturges, historiens, archéologues, médiums ... à seulement lire des ouvrages plus ou moins vulgarisés, et plus ou moins complets.
Ces deux idiots ratent même leurs suicides et y préfèrent la fervente foi, avec la volonté de devenir dévots, comme ils avaient déclaré un matin qu'ils souhaitaient devenir médecins.
Ils apprennent non comme une volonté ou une résolution, mais comme des caprices, à peine explicables. Seulement, chaque apprentissage est fait sans le moindre discernement. La quête sans but n'est pas même motivée par l'envie de s'élever, ni encore pour le plaisir qu'ils pourraient en tirer. Mais par ... rien. L'absurdité même. Ou
la peur de l'ennui.
Par ailleurs, quelque chose m'a frappée dans ce conte. Les deux hommes vivent ensemble, et presque sans femmes. Une seule fois, ils traitent l'amour comme l'une de leurs disciplines, s'y essayent et s'en rependent bien vite, après une unique expérience ratée. Et j'ai songé logiquement que toutes ces quêtes vaines et non abouties, irréfléchies et stupides, n'étaient peut-être que compensations à la chasteté. Comme si leurs désirs étaient dénaturés, comme une quête de jouissance par d'autres biais que le corps et les femmes.
Alors... c'est une sorte de conte plutôt qu'un roman. Il n'y a pas d'intrigue réelle, pas de profondeur dans les personnages. J'ai tout de même longuement hésité sur la question. La longueur, sans doute, fait songer au roman.
L'écriture est concise. C'est bien écrit, pourtant. L'idée est effectivement pertinente. Ces caricatures ont quelque chose de savoureux et de drôle.
J'ai lu que
Henry Miller aurait aimé l'écrire... et je me demande encore pourquoi, je dois le reconnaître. de même,
Maupassant a applaudi cette oeuvre.
Alors, c'est probablement moi qui...
N'importe ! Devrais-je en dire du bien parce qu'il est convenu que c'est un Grand livre?
Comme tous les contes philosophiques, évidemment le message est intéressant. Pourtant, il y a des longueurs qui m'ont semblé impatientantes. Des accumulations pénibles, même si, je l'ai compris, c'est voulu. Une sorte de ... comique de répétition, mais qui m'a paru, à la longue, bien impatientant et j'ai eu envie, à plusieurs reprise, de dire: « c'est bon, on a compris le principe ».
Et, au fond, nous avons tous quelque chose de
Bouvard et Pécuchet, à moindre échelle. Moi la première, je me suis essayée à la cuisine, à la pâtisserie, à diverses disciplines secondaires « pour voir », en glanant des conseils à droite, à gauche, en lisant des manuels, voire en prenant... des cours de couture! Et j'y ai à chaque fois renoncé bien vite. Ces choses n'étant pas pour moi. J'y ai perdu de l'intérêt très rapidement.
Je ne peux pas affirmer que j'ai détesté ce livre. Il pointe du doigt de manière pertinente et drôle l'imbécilité, la propension à se croire intelligent parce que riche d'un savoir, le manque de discernement, et cette idée qu'en étudiant tout en dilettante, on ne sait, au fond, à peu près rien.
Cela m'amène aussi à réfléchir à ce que l'on nomme « la culture générale », qui, au fond, ne vaut rien si aucun esprit critique ni aucune intelligence ne sait traiter les informations recueillies et savoirs appris.
Bouvard et Pécuchet est un conte intelligent et insolent. Pour autant, voici mon avis: il ne mérite pas les éloges unanimes dont il bénéficie. À mon avis. Il ne m'a rien appris, disons. Non pas qu'il soit mauvais, mais il fait l'objet de tant de compliments élogieux que ça me parait un peu surfait.
Et cette critique m'amène à une réflexion concernant les auteurs et oeuvres iques. A-t-on le droit, la légitimité de les critiquer sévèrement ? Malgré leur supposé génie ?
Je crois que oui. Un auteur qui accepte d'être publié ne se donne pas à lire à une élite qui écrit, ni à ses pairs en nombre restreint et choisi. Il livre son texte à tous lecteurs.
Et cet argument qui laisse supposer qu'on ne peut juger si l'on est incapable d'écrire aussi bien est à balayer également.
Personnellement, je ne sais pas faire le pain, mais je sais tout de même choisir ma boulangerie. Je sais où la baguette est bonne et où elle est trop cuite ou pas fraîche.
Évidemment, je ne parle pas d'art, mais d'artisanat. Pour autant, la conclusion est la même: nul besoin de « savoir faire aussi bien » pour juger d'une oeuvre.
L'expérience de lecture, je veux dire le fait d'être un lecteur attentif, exigeant, entrainé, pouvant comparer les oeuvres lues, pouvant les er en qualité, a le droit de prétendre que
Flaubert (ou n'importe qui d'autre) l'a déçu.
Sinon, pourquoi lire? Il suffirait d'admettre comme tout le monde que c'est un génie de la littérature, que son oeuvre est grande, et s'épargner la peine de la lire.
De plus, aimer (faire semblant d'aimer) une oeuvre reconnue comme grande uniquement parce qu'elle est unanimement appréciée, c'est manquer cruellement d'individualité. C'est, au fond, ne plus avoir de jugement propre et se laisser influencer par l'opinion collective. Assumer le fait que je n'ai pas « tant » aimé (pas autant que je le « devrais »), et en donner les raisons argumentées, c'est prouver que j'ai jugé seule, et sans influence extérieure.