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Aïe ! Que j'ai souffert, malheureuse, que j'ai souffert, et comme j'eusse voulu qu'il n'en fût jamais ainsi. Oui, je crois bien que je vous déteste, monsieur B., vous qui fûtes mon odieux professeur de français au lycée, et vous qui m'écœurâtes à jamais du plaisir de jouir du parfum de cette œuvre.

À la simple évocation du titre de ce roman, je revois votre face d'oignon confis, vos pantalons trop courts et je crois entendre vos souliers ferrés qui sonnaient dans les couloirs comme le glas du châtiment. Je n'avais pourtant pas le sentiment d'être particulièrement hostile aux choses de la littérature, mais j'étais si jeune, je rêvais tellement d'autre chose…

Eh oui, Monsieur B., je puis bien vous le confier à présent — car il y a prescription —, jamais plus je ne pourrai relire ce roman, par votre faute à vous et rien qu'à vous, par l'irrémédiable aversion que vous avez suscitée en moi. Voilà en quoi je vous déteste, vous avez commis le péché capital de l'enseignant : causer l'éloignement définitif et irréversible de ses élèves de l'objet qu'il est censé faire découvrir (et si possible aimer).

Quelle misère, quand j'y repense ! Nous choisir cette lecture (parmi la foule d'autres peut-être plus adaptées à l'âge et aux aspirations des lycéens) alors que nous n'étions que des petites gens provinciales de la classe populaire, avec des téguments jaunes au bord du bec, à peine formées ou arborant de minces duvets sous le menton…

Nous étions tous consternés par cette lecture. Pas plus d'un sur trois était allé au bout et le rayon " profil Hatier " de la librairie d'à côté fut dévalisé. Pas un parmi nous qui eût pu dire qu'il avait apprécié ce roman alors que nous n'étions pas tous nécessairement hermétiques aux belles lettres…

Ah ! cher monsieur B., comme vous nous regardiez avec votre oeil vitreux derrière vos lunettes sales, votre œil condescendant et votre air de toujours penser : « Bande d'abrutis, vous ne savez pas apprécier la littérature. Je vous emmerde et j'en suis ravi. » Quel sinistre connard vous étiez à l'époque, monsieur B., — permettez-moi de vous le dire, car là encore il y a prescription — et non, décidément, quelque chose était pourri en votre royaume du savoir...

Je n'ai pas l'impression qu'étudier cette œuvre au lycée en littérature soit la meilleure porte d'entrée pour faire aimer, apprécier cette littérature du XIXème que j'aime tant, pour susciter des envies ou, pourquoi pas, des vocations.

Mesdames et messieurs les professeurs — et c'est une enseignante réchappée in extremis du péril qui vous en parle —, par pitié pour Flaubert, par pitié pour vos élèves, essayez autre chose en première approche. Le XIXème est si beau, si riche, Flaubert lui-même recèle tellement d'autres trésors. À quoi bon risquer de briser des âmes à peine écloses aux choses du verbe ?

J'ai l'impression (impressions qui datent, vous vous en doutez, de l'époque du lycée) que ce livre est particulièrement ennuyeux. Bien écrit, très bien écrit même, mais ennuyeux, très ennuyeux, trop ennuyeux. L'auteur y règle un peu ses comptes avec ses jeunes années, témoignant quelque mépris pour ce qu'il a adoré lorsqu'il était adolescent ou jeune adulte.

Ces choses ou ces gens, qu'il avait montées sur un piédestal et qui désormais lui apparaissent ringardes. Un peu comme un quadragénaire ou un quinquagénaire qui se retourne sur ses goûts musicaux de quand il avait seize ans et qui s'exclame : « Quoi ! j'ai pu écouter ça, j'ai pu aimer cela ?! » Eh oui ! vous avez pu aimer cela. Et vous avez changé. Grand bien vous fasse.

Gustave Flaubert nous conduit donc, à travers des chemins largement empruntés à son autobiographie sur les berges de son premier amour dans les lacets de la Seine tandis qu'il montait à Paris depuis sa Normandie natale. Il croyait ployer le monde en la capitale et c'est le monde qui l'a ployé, lui qui se pensait si grand, si exceptionnel, avec tellement de goût et de raffinement.

Finalement, bien des années plus tard, avec un soupçon d'amertume en bouche, il se rend compte qu'il n'était rien que de très ordinaire et que toutes ses idoles n'étaient que pacotilles, rêves creux et illusions d'optique. Et lui alors, qu'est-il ?

Un livre, donc, qui place très haut la forme et qu'on prend sans doute plus de plaisir à lire quand on a passé trente ans (pour les raisons sus-mentionnées). Si vous saviez comme je suis triste de ne plus pouvoir le découvrir à présent, totalement vierge d'a priori, car il est probable que je l'aimerais, qui sait ? Mais il m'évoque trop d'injustices, trop de sacrifices, trop de cicatrices, trop de supplices, trop de trucs en " ice "…

Néanmoins (ou oreille en plus), ceci, encore une fois, n'est que mon triste ressenti personnel (Ah ! Monsieur B., Monsieur B. ! soyez damné à jamais du paradis des enseignants !), c'est-à-dire, rien qu'un peu de vent dans une mèche folle, autant dire, pas grand-chose.
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Gustave Flaubert - L'éducation sentimentale - 1869 : le véritable intérêt de ce classique est dans son écriture, recherchée, stylisée, magnifique. Il a dû en noircir des pages ce brave Flaubert pour arriver à un tel niveau stylistique. En même temps il faut bien dire que les adolescents de l'époque n'avaient pas vraiment le choix des occupations lors des longues soirées d'hiver à la maison. Bien sûr on parle là de ceux vivant dans des familles aisées car les fils d'ouvriers et de paysans eux n'avaient guère l'occasion d'étaler leurs pensées sur de belles feuilles de papier blanc. Il aurait fallu déjà qu'il sache lire et que l'école obligatoire ne soit pas qu'une vue de l'esprit pour la plupart. Il est vrai que devant une telle prose l'histoire mettant en scène une longue liste de personnages médiocres, petits bourgeois ratés ou nobliaux décadents avait peu d'importance. On dit de certains chanteurs que leur voix est si belle qu'ils arrivent à séduire en chantant une liste des noms tirés des pages blanches de l'annuaire, Flaubert lui était tellement doué qu'il aurait pu pondre un chef d'oeuvre littéraire en écrivant votre liste des courses sur un bout de papier déchiré au hasard. La trame quant à elle restait largement à l'état embryonnaire en n'évitant pas les longueurs causées par les interminables atermoiements du héros amoureux fou d'une femme mariée et plus âgée que lui. Les romans de l'époque regorgeaient de ces passions oedipiennes qui voyait de jeunes idéalistes viser l'interdit d'un amour sentimental et charnel rendu complètement impossible par la position vertueuse de l'objet de leur désire. le personnage principal lui poussait cette passion jusqu'à l'absurde en fermant les yeux sur les plaisirs de la vie que pouvait lui apporter son jeune âge. Bien sur d'autres femmes passaient dans ses bras mais elles ne n'étaient que des ombres dédiées au plaisir charnel ou à entretenir par la convoitise de son jeune corps parfait un train de vie dispendieux et vide de sens. Ce roman est considéré comme étant une autobiographie de Flaubert, on a dit même que le personnage de Marie Arnoux l'épouse désirée était inspiré par la femme d'un éditeur de musique devant qui Flaubert était en pâmoison. On peut imaginer combien le mari a dû être réjouit de voir son infortune comptée dans les cinq cents pages de ce roman. S'il ne se passait rien de notable dans ce texte qui effleurait même le contexte historique de peur d'intéresser le lecteur à autre chose qu'à la lente dérive nihiliste de Frédéric Moreau, il restait d'une qualité littéraire telle qu'il prouvait quoiqu'on en dise que le génie peut faire beaucoup avec pas grand-chose. Une chose est sûre il faut être prêt mentalement et physiquement pour s'attaquer à ce pavé qui ne résistera pas aux coups de fatigue du lecteur ni à ses pensées vagabondes (Les amoureux par exemple feront bien de lire autre chose). Par contre pour les ninjas de la lecture, les imperturbable et les insomniaques ce livre distillera une aura bienfaitrice qui confirmera illico sa place dans les incontournables de la littérature française. Deux solution alors pour ceux qui voudront vraiment le découvrir, le Guronsan pour les courageux ou la torture d'une lecture trop longue pour les autres… malgré tout une oeuvre capitale
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Flaubert disait à propos de « L'Education Sentimentale » : "Je veux faire l'histoire morale des hommes de ma génération; « sentimentale » serait plus vrai. C'est un livre d'amour, de passion; mais de passion telle qu'elle peut exister, c'est à dire inactive". Je trouve que ce paragraphe illustre parfaitement l'idée du livre, à savoir qu'à travers cette histoire, Flaubert nous offre un livre de Passions, et qui dit Passions dit également Souffrance.

En effet, l'auteur met en place une large palette de personnages, tous plus passionnés les uns que les autres, et ce de part leurs actes ou leurs ambitions: que ce soit la Passion ardente et sublime entre Frédéric Moreau et Mme Arnoux - mais aussi l'amour charnel avec Rosanette, ou intéressé avec Mme Dambreuse, qui n'en demeurent pas moins tous les deux, des amours passionnés -, ou bien celle de Deslauriers pour sa carrière et la gloire, celle d'Arnoux pour l'Argent et la Beauté, celle de Pellerin pour l'Art...
Mais, à l'image de l'amour silencieux et impossible entre le héros et Mme Arnoux, on constate que la recherche de l'idéal et de la félicité par chacun des individus est vaine. D'ailleurs, dans les dernières pages du roman, Frédéric et Deslauriers s'arrêtent sur leur passé, et constatent leur échec : "Et ils résumèrent leur vie. Ils l'avaient manquée tous les deux, celui qui avait rêvé l'amour [Frédéric], celui qui avait rêvé le pouvoir [Deslauriers]"

N'ayant pas entendu, à priori, que des louanges sur ce roman de Flaubert, j'ai ouvert ce livre avec beaucoup d'appréhensions et la peur de m'ennuyer lors de cette lecture... Mais il n'en n'est rien au final ! Bien sûr, il y a de nombreuses longueurs, mais en dépit de cela, j'ai beaucoup aimé cette lecture. Les amateurs du style de Flaubert ne seront certainement pas déçus par « L'Education Sentimentale ».
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L'Éducation sentimentale est un roman d'une grande richesse à la fois stylistique, historique, politique et psychologique.

Il émane de ce texte très bien écrit une vision sombre et désabusée d'absolument tout : l'amour, l'amitié, les relations humaines, la vie sociale et la politique. L'éducation sentimentale de Frédéric Moreau le mène à l'échec dans tous les domaines : amoureux, amical, politique mais ce n'est qu'un des aspects du roman.

L'Éducation sentimentale ressemble au début à une histoire d'amour tragique et impossible. Frédéric aime d'un amour pur et idéal la pure, idéale et parfaite Mme Arnoux, dont le seul défaut est d'être mariée à M. Arnoux.
Le lecteur sait peu de choses de Mme Arnoux, Marie. Frédéric la voit peu mais l'imagine beaucoup. Leur amour est réciproque, cependant il est hors de question que Mme Arnoux divorce, nous sommes dans les années 1840 et Flaubert peint la société de ses contemporains telle qu'elle était.

M. Arnoux a des maîtresses, ce n'est pas un problème, alors que, si Mme Arnoux se laissait aller à ce genre de faiblesse et était démasquée, ce serait un drame, elle perdrait tout, irait dans le ruisseau ou devrait apprendre la vie de courtisane, comme Rosanette, la maîtresse de son époux, c'est-à-dire de prostituée (de bas étage puis de luxe). Marie Arnoux n'est pas née misérable, elle est une bourgeoise, pas une fille des rues qui cherche à s'en sortir, comme Rosanette. Cette dernière n'a pas eu une vie facile, ainsi qu'elle le racontera plus tard à Frédéric quand elle l'aura pour amant et protecteur, lorsqu'il se sera lassé de soupirer au pied de la chaste et vertueuse Mme Arnoux.

Marie Arnoux n'est pas niaise, elle veut bien agir, être une bonne mère pour ses enfants, qu'on ne se moque pas d'eux en attaquant sa réputation. Son fils pourrait mourir dans un duel. Elle sait mieux que personne, pour l'avoir expérimenté avec son mari, que l'amour s'étiole et ne dure pas. Elle ne veut pas gâcher son amour pur et idéal pour Frédéric qui ressent la même peur car s'ils vivaient leur histoire, ils seraient obligés de mentir, de se cacher et leur amour parfait pourrait se dégrader et disparaître à l'épreuve du quotidien, comme le fera celui de Frédéric et Rosanette. Mais un amour qui n'est pas vécu existe-t-il seulement, si ce n'est dans l'imagination des deux protagonistes ?

L'Éducation sentimentale est l'histoire d'un jeune homme rentier qui s'ennuie, il a la sécurité matérielle alors il rêve de ce qu'il n'a pas : l'amour avec un grand A, pur et parfait. Son ami Deslauriers, qui n'a pas cette sécurité matérielle, rêve quant à lui de ce qui lui fait défaut : le pouvoir grâce à la carrière politique. À la fin des années 1860, à la quarantaine, ils feront le bilan de leur vie.

Grâce à ce roman, Flaubert est arrivé à réaliser une peinture complète de la société de ses contemporains dans toutes ses dimensions, et en particulier historique et politique, en adoptant un ton ironique et mordant. Il ne nous épargne rien de la faiblesse, lâcheté, des contradictions inhérentes à la nature humaine, le contraste cruel entre l'idéal et la réalité. Frédéric fréquente tous les bords politiques et, à travers lui, Flaubert nous en donne une représentation caustique qui a dû déplaire à ses contemporains car le roman, lors de sa parution, n'a pas été un succès.

J'ai beaucoup aimé la dimension satirique du texte. Cette lecture m'a permis de découvrir l'histoire tourmentée du XIXe siècle, la révolution de 1848, le coup d'État de décembre 1851 qui mena au Second Empire, une histoire sanglante qui explique la tonalité sombre et désabusée du roman, la perte des illusions, qui cependant ne tue pas, si on sait se protéger et être du bon côté. Lequel ? Pas celui des naïfs, des idéalistes ?

Telle serait la morale de ce roman énigmatique, incompris en son temps et peut-être encore aujourd'hui car Flaubert refusait de conclure pour nous laisser la possibilité de réfléchir par nous-mêmes, de méditer sur le sens ambigu de son roman, tout en contemplant la beauté de cette oeuvre d'art.

J'ai parfois eu l'impression de regarder un tableau tant les descriptions sont précises, travaillées. Si Frédéric est souvent nonchalant, Flaubert, lui, a dû beaucoup travailler pour arriver à un tel résultat qui frôle la perfection tant les effets de réel sont bluffants, les personnages criants de vérité, l'analyse psychologique profonde.

Quant à la peinture de la vie politique de l'époque, elle est tellement réussie qu'elle amène à songer à la vie politique actuelle. Peut-être était-ce ce que souhaitait Flaubert, que L'Éducation sentimentale ait un rôle à jouer dans l'Histoire, qui est un éternel recommencement, malgré les tentatives infructueuses et incomprises des écrivains. Un de ses amis, Maxime du Camp, dans ses Souvenirs littéraires, dit qu'ils regardaient tous deux, en juin 1871, la carcasse noircie des Tuileries, de la Cour des Comptes et du Palais de la Légion d'honneur, après la révolte durement réprimée de la Commune de Paris, lorsqu'il lui a dit : « Si l'on avait compris L'Éducation sentimentale, rien de tout cela ne serait arrivé. »
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Autant le dire de suite, je trouve qu'il s'agit - mais cela n'engage que moi - du moins bon roman de Flaubert. Dans "Madame Bovary", cette dernière avait une certaine profondeur, prenait le devant de la scène. Ici, Frédéric Moreau est un bien piètre personnage, un anti-héros dans toute sa splendeur. Que raconte ce livre ? Rien... ou, du moins, pas grand chose, et c'est bien ce que voulait Flaubert d'ailleurs.

Frédéric, jeune bachelier, nourrit le projet de faire son droit à Paris. Mais il doit retourner chez lui, à Nogent-sur-Seine, pendant deux mois. Il prend donc le bateau, le "Ville-de-Montereau", le 15 juillet 1840. Là, il fait la connaissance d'un amateur d'art, éditeur de "l'Art industriel", Jacques Arnoux, et de son épouse, que le jeune diplômé remarque, faisant naître des sentiments inconnus de lui jusque là. de retour à Paris, il erre lamentablement. Ses études capotent. Il fait la connaissance de Rosanette, dite "La Maréchale", femme entretenue qui, disons, va le divertir... Mais un heureux hasard lui fait revoir Jacques et, bien sûr, la délicieuse Marie...

L'auteur s'était fortement inspiré d'une histoire personnelle. Marie Arnoux n'est autre qu'Élisa Foucault, qui deviendra la femme de l'éditeur de musique Maurice Schlesinger. Muse de Flaubert, elle hantera son esprit. Ainsi, l'Éducation sentimentale serait presque - j'ai bien dit presque - une autobiographie romancée. le roman n'a pas obtenu de succès à l'époque de sa parution, en 1869. Il est vrai que l'on est quand même loin de "Salammbô"...
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L'Éducation sentimentale de Flaubert, c'est un livre franchement ennuyant, mais aussi incontestablement magnifiquement écrit. C'est ennuyant, mais d'un très bel ennui!
Flaubert, c'est un talent d'écriture et une capacité de travail qui tiennent du merveilleux. Il nous permet de voir avec une clarté sublime ce qu'il veut bien mettre en lumière devant les yeux des ses lecteurs, que ce soit la pose d'un personnage, le détail d'une scène, la subtilité d'un état d'âme, etc.
Son génie grandiose aura toutefois été constamment irrésistiblement attiré par la médiocrité, qu'il ne se lassera jamais de découvrir partout, pour la décrire et aussi pour la dénoncer.
Tout au long de son oeuvre, il s'attaquera ainsi avec un acharnement indéfectible à la bêtise, à la médiocrité, à la bourgeoisie, mais sans jamais montrer quoi que ce soit de mieux, en dehors de sa manière sublime d'exprimer ses dénonciations.
Sa soif d'idéal correspond bien à première vue à ce que l'on peut trouver de plus exigeant, mais comme il ne va jamais aller s'aventurer là où l'on trouve des possibilités dignes d'assouvir des exigences surhumaines, sa fin n'aura jamais voulu ses moyens et cela qui me donne l'impression de trouver chez lui plutôt une affectation de recherche sérieuse plutôt qu'une authentique quête de possibilités vraiment dignes d'être vécues. Il ressemble ainsi beaucoup à Nietzsche, qui l'appréciera d'ailleurs sans jamais s'en lasser. Tous deux me semble avoir fait mine de chercher l'idéal en soi avec des exigences absolues, mais sans jamais avoir rien fait d'autre que de critiquer les éléments médiocres des possibilités qui se déployaient autour d'eux. (Nietzsche aura bien proposé l'Éternel retour du même ou encore le surhomme, mais ce sera pour les détruire lui-même aussitôt)
Bref, Flaubert n'a jamais rien su faire de mieux que d'exprimer rageusement son dégoût de tout ce qui ne correspondait pas à ses aspirations réelles ou prétendues. Son combat, présenté avec un style d'un perfection, presque complètement absurde, puisqu'elle échappera à la grande majorité de son auditoire, comportera quelque chose d'une vanité absolue, risible, et sera poursuivi tout de même, sans espoir véritable, avec un cynisme envers lui-même frisant la volonté d'autodestruction.
Je trouvais important d'exposer ces réflexions sur l'oeuvre entière de Flaubert puisque, à mon avis, Flaubert atteint un sommet dans son genre dans l'Éducation sentimentale. le roman est en effet magnifiquement écrit, comme toujours chez lui, mais les états d'âmes du héros principal sont si petits qu'ils ont souvent failli glisser complètement en dessous de mon attention. Mon esprit restais constamment accroché dans les hauteurs sublimes où l'on trouve ses formulations magnifiques, je restais si souvent saisis devant l'exposition de détails si parfaitement exposés, qu'il me fallait parfois faire quelques efforts pour me souvenir du petit bonhomme de chemin insignifiant que Flaubert faisait traverser à son personnage principal.
Même la participation de Frédéric à des événements politiques pourtant bouillonnants et à des circonstances parfois terribles et tragiques prennent de la fadeur à son contact. Il est si imbu de lui-même et sa personne est si ennuyante!
Oui, définitivement, pour toutes ces raisons, l'Éducation sentimentale, c'est un très bel ennui!
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"L'Education sentimentale " de Gustave Flaubert, ce grand classique contient quelques scènes cultes comme la rencontre entre Frédéric et Marie Arnoux :
" Ce fut comme une apparition : Elle était assise, au milieu du banc, toute seule ; ou du moins il ne distingua personne, dans l'éblouissement que lui envoyèrent ses yeux (1). En même temps qu'il passait, elle leva la tête, quand il se fut mis plus loin, du même côté, il la regarda. Elle était en train de broder quelque chose.
Comme elle gardait la même attitude, il fit plusieurs tours de droite et de gauche pour dissimuler sa manoeuvre ; puis il se planta tout près de son ombrelle et il affectait d'observer une chaloupe sur la rivière(2). Il considérait son panier à ouvrage avec ébahissement, comme une chose extraordinaire (3). Quel était son nom, sa demeure, sa vie, son passé ? Il souhaitait connaître les meubles de sa chambre (4), toutes les robes qu'elle avait portées, les gens qu'elle fréquentait ; et le désir de la possession (5) physique même disparaissait sous une envie plus profonde.
Cependant, un long châle à bandes violettes était placé derrière son dos, sur le bordage de cuivre. Elle avait dû, bien des fois, durant les soirs humides, en envelopper sa taille, s'en couvrir les pieds, dormir dedans ! (6) Mais, entraîné par les franges, il glissait peu à peu, il allait tomber dans l'eau ; Frédéric fit un bond et le rattrapa(7). Elle lui dit :
- Je vous remercie, monsieur. " (8)
1 : Avez-vous déjà été aveuglé de cette façon par un regard ? Dites dans quelle circonstance.
2 : La manoeuvre de Frédéric vous semble-t-elle discrète ?
3 : Avez-vous déjà vu des paniers à ouvrage extraordinaires ? Donnez des exemples.
4 : Aimez-vous les meubles que l'on trouve dans les chambres ? Lesquels préférez-vous ?
5 : possession, ce terme vous semble-t-il approprié, qu'en est-il du consentement de la femme ?
6 : Pourquoi ce point d'exclamation ? Précisez la pensée de l'auteur.
7 : Appréciez la dangerosité du bond de Frédéric.
8 : Quels sous-entendus égrillards y a-t-il dans la réponse de Marie ?
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Frédéric Moreau c'est le double inverse d'Emma Bovary.

Emma meurt d'avoir trop vécu ses rêves, Frédéric vit en se laissant flotter au gré des rencontres comme un bouchon- sans choisir, sans risquer, sans extrapoler, sans anticiper.

Autant le monde d'Emma obéit à une cosmogonie précise, avec ses codes, ses lois, ses figures tutélaires et référentes, autant celui de Frédéric est mouvant, indistinct, peu caractérisé.

Homme d'affaires peu scrupuleux mais pas franc escroc, comme Arnoux, Femme légère et peu farouche mais pas vraie cocotte, comme Rosannette. Homme politique opportuniste, naviguant à vue , mais pas Machiavel, comme Dambreuse...

Un monde interchangeable aussi : Deslauriers, Sénécal, Hussonnet et Moreau sont les trois mousquetaires - et comme eux ils sont quatre- assez peu différenciés de ce roman de formation ...où la formation est justement si paresseuse, si aléatoire, si floue elle aussi.

Encore une fois, Flaubert pourfend la bourgeoisie de province, incarnée par ces jeunes gens prometteurs mais décevants, qui sont les rois de l'occasion manquée, les fils d'une révolution rangée des voitures, les enfants gâtés d'une classe sociale pour qui s'ouvrent toutes les portes, sans qu'ils aient besoin d'y donner des coups de pied. Tout cela ne leur a pas forgé le caractère, et Frédéric Moreau encore moins que les autres.

Il y a du Bel-Ami dans cet amateur du beau sexe mais sans le cynisme et sans le désir: Frédéric s'élève -socialement s'entend- grâce aux femmes mais sans vraiment le chercher ni le vouloir: il" couche" mollement, si vous me passez l'expression.

Il y a aussi du Félix de Vandenesse dans l'amour platonique de Frédéric pour la belle Marie Arnoux, - "madame Arnoux", femme fidèle, directe et aimante de l'affairiste déjà nommé,- mais sans le romantisme flamboyant et mélo De Balzac dans le Lys - sans cancer du pylore pour elle, sans brûlure d'un désir épanché avec une autre pour lui, sans mari bon à enfermer à sainte Anne comme le comte de Mortsauf : Monsieur Arnoux est un bon pépère qui aime le cigare et sa petite famille.

Frédéric ne brûle pas: il cristallise: "Ce fut comme une apparition"... Madame Arnoux ne souffre pas: elle consent à se laisser adorer de loin pourvu que ce petit jeune homme n'aille pas troubler la paix de son ménage. Monsieur Arnoux n'est pas un fou jaloux et paranoïaque, il tape sur le ventre de Frédéric et le trouve d'agréable compagnie.

Pas de désir, pas d'obstacle, pas de difficulté particulière, pas de caractère fantasque ou torturé : l'Education sentimentale est un redoutable robinet d'eau tiède, une machine à distiller du bourgeois conformiste, un alambic à vaporiser sans douleur les illusions. Comme on accepte la chute des feuilles en automne.

Alors parfois on s'ennuie un peu. Pas plus ou pas moins que les personnages eux-mêmes. Mais le style lui est toujours là, parfait, ciselé, capable de rendre brillamment cet univers de grisaille, de dire avec une belle férocité la veulerie petite-bourgeoise des personnages.

Moins percutant, moins profondément ambigu que Madame Bovary, L'Education sentimentale est un miroir sans pitié que Flaubert se tend à lui-même et à toute sa génération.

Frédéric est vraiment le portrait d'un "homme sans qualité" et à ce titre le livre est d'une incroyable modernité.

Désenchanté, amer, sans concession.
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Gustave Flaubert entame l'écriture de « L'éducation sentimentale » en 1864. En 1869 le roman est édité. Grand admirateur de l'oeuvre De Balzac, Flaubert s'imprègne du style, se l'accapare mais le transforme. Il annote : « S'éloigner du Lys dans la vallée, se méfier du Lys dans la vallée ». L'élève projette de dépasser le maitre, de transcender son style, réinventer l'exercice, s'extraire de toute étiquette en renouvelant le modèle et il y réussit à merveille. Il hésite sur le titre de son ouvrage qu'il a failli appelé « Les fruits secs ». Il s'inspire d'éléments de sa propre vie, Mme Arnoux est Mme Schlésinger, la femme qu'il aimera toute sa vie…
« L'éducation sentimentale » est un non-roman. L'oeuvre est entre autres un inventaire de la société parisienne de 1848. Il n'y a pas une histoire, il y a une succession d'anecdotes. Elle comporte un fil rouge.
Frédéric Moreau, jeune homme de dix-huit ans quitte Paris à bord d'un bateau à vapeur pour rejoindre sa mère qui vit à Nogent-sur-Seine. Alors qu'il visite le quartier des premières classes, il l'apperçoit…
« Ce fût comme une apparition : Elle était assise, au milieu d'un banc, toute seule ; ou du moins il ne distingua personne, dans l'éblouissement que lui envoyèrent ses yeux. En même temps qu'il passait, elle leva la tête ; il fléchit involontairement les épaules ; et, quand il se fût mis plus loin, du même côté, il la regarda. Elle avait un large chapeau de paille, avec des rubans roses qui palpitaient au vent, derrière elle. Ses bandeaux noirs, contournant la pointe de ses grands sourcils, descendaient très bas et semblaient presser amoureusement l'ovale de sa figure. Sa robe de mousseline claire, tachetée de petits pois, se répandait à plis nombreux. Elle était en train de broder quelque chose ; et son nez droit, son menton, toute sa personne se découpait sur le fond de l'air bleu. »
Il s'agit de Mme Arnoux, mariée à un marchand d'art et mère d'une petite fille, Marthe. Frédéric tombe amoureux et n'aura de cesse de la retrouver, de la poursuivre de ses assiduités.
Mais Flaubert élargit le champ d'action de son roman à une pléiade de personnages qui vont traverser l'existence du jeune homme, et faire se mêler les intrigues sentimentales au grès des rencontres de hasard. Il rompt avec la forme classique du roman qui se limite à une histoire menée de bout en bout, en la fractionnant en plusieurs chroniques. de même, il rompt avec la dramaturgie de l'exercice romanesque en grossissant le trait, en exacerbant le grotesque de certaines situations et le caractère de certains de ses personnages et surtout en faisant circonvoluer ses anti-héros vers des dénouements qu'ils n'atteignent jamais. Il moque leurs intentions vaines et leurs actes voués à l'échec. Il caricature les représentants des institutions aussi bien religieuses que politiques.
Flaubert place ses personnages face à un idéal qu'ils entretiennent sans jamais l'atteindre car sa réalisation, selon lui, est source de déception. La tragédie « flaubertienne » se joue lorsque la fiction rejoint la réalité. Il argumente ainsi en faveur de la recherche d'un ascétisme de vie où les errances de l'esprit apportent toutes les satisfactions que la réalité n'offrira jamais.
« L'éducation sentimentale » est le roman de la coïncidence, du hasard, des rencontres de trottoir mais c'est aussi celui de l'apprentissage des « bons » et « grands » sentiments de la société bourgeoise avec toute l'hypocrisie que les qualificatifs sous-entendent.
L'écriture de Gustave Flaubert est magnifique. Elle est ciselée, précise. Ses descriptions ne sont jamais ennuyeuses, justement proportionnées et les mots employés sont choisis, magiques, ensorcelants. le charme de sa plume agit et émerveille du début à la fin.
2021 fête les deux cents ans de la naissance de Gustave Flaubert, né à Rouen le 12 décembre 1821.
éditions Gallimard, Folio, 557 pages.
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Flaubert et moi, c'est une grande histoire d'amour qui dure depuis 20 ans, depuis le jour où j'ai décidé d'ouvrir Madame Bovary, comme ça, pour voir ; je fus charmée par Emma, bien sûr, pour qui j'avais un regard bien naïvement bienveillant, mais encore plus par le style de ce bon vieil ermite aigri et perfectionniste, qui s'astreignait à un travail rigoureux d'ascète huit heures par jour pour réussir à écrire, un jour, le Roman qui engloberait toutes ses aspirations et toutes ses envies, peine perdue malheureusement. Enfin, je ne suis pas là pour gloser sur Flaubert, mais pour évoquer plus précisément L'Education sentimentale, que je lis et relis ces derniers mois, puisque je prépare l'agrégation de lettres, et qu'il est en effet au programme.

J'avoue que ces nombreuses relectures me montrent à chaque fois davantage à quel point ce roman est une pépite, bien encore davantage que Madame Bovary. Emma Bovary, c'est une femme qui s'ennuie, mais qui agit, malheureusement jusqu'au bout. Frédéric Moreau, c'est un jeune homme qui s'ennuie aussi, mais qui reste passif face à son désenchantement progressif, face au désenchantement de la société qui l'entoure. Il se nourrit de rêves et d'illusions, de fantasmes de plus en plus grandiloquents, sans être capable de profiter du peu qu'il obtient, quand il l'obtient, ce qui est bien rare. Il rêve sa vie, et la voit s'écouler tout en passant son temps à regretter ce qu'il ne fait pas, à défaut de ce qu'il fait, bien entendu. Il est représentatif de son époque, plus précisément de la société de 1848, en pleine désillusion, tout autant politiquement, que socialement ou culturellement, qui ne sait comment agir, et qui donc n'agit plus vraiment.

Alors oui, Frédéric peut être particulièrement agaçant, oui, on peut avoir envie de lui foutre un bon coup de pied au cul pour qu'il se bouge enfin, mais où résiderait alors le charme, et surtout la nouveauté de ce roman qui, en décrivant un jeune homme qui ne fait rien de sa vie, a la capacité de décrire par son intermédiaire toute une époque, par une série de tableaux tous plus frappants de réalisme, mais aussi de cynisme, les uns que les autres ?

Je crois que c'est vraiment ce qu'il faut comprendre quant à ce roman, si l'on veut en saisir tous les enjeux, et prendre du plaisir à sa lecture, qui peut être ardue – notamment toutes les descriptions de repas et les scènes pendant les révoltes, que je trouve personnellement truculentes, enfin les goûts et les couleurs… – : Flaubert n'a pas fait son roman chiant juste pour le plaisir et pour gaver des ribambelles d'étudiants de fac de lettres, il a parfaitement mimé la vie de son personnage principal, tout simplement, pour faire prendre conscience à son lecteur ce qu'est l'essence même de l'ennui, du désenchantement, de la désillusion. Car ce qui aurait dû être un roman d'apprentissage, comme l'annonce le titre, n'est qu'un roman sur rien, inclassable et foncièrement moderne pour 1869.
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L'Éducation Sentimentale

Fumichon, concernant la propriété, évoque les arguments d'un homme politique dont Flaubert parle en ces terme dans une lettre à George Sand: "Peut-on voir un plus triomphant imbécile, un croûtard plus abject, un plus étroniforme bourgeois! Non! Rien ne peut donner l'idée du vomissement que m'inspire ce vieux melon diplomatique, arrondissant sa bêtise sur le fumier de la Bourgeoisie!". De qui s'agit-il?

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