Citations sur Le Scandale Modigliani (69)
Elle tourna le coin de la rue et pénétra dans un petit immeuble sans prétention. Comme elle passait devant la porte de la loge, la concierge, une femme aux cheveux gris, poussa un cri aigu en l’apercevant par la petite lucarne de sa porte.
— Mademoiselle !
En prenant soin de bien détacher les syllabes, la gardienne était parvenue à donner à son interjection une inflexion accusatrice parfaitement justifiée à ses yeux, puisque, ô scandale, cette jeune fille n’était pas légitimement mariée au locataire en titre de l’appartement. Le sourire de Dee s’accrut : des amours à Paris ne seraient pas complètes sans une pipelette à langue de vipère dans le paysage.
— Télégramme, lâcha le dragon.
Elle pencha la tête en arrière, repoussa ses cheveux derrière ses oreilles et tendit son visage au soleil. Quelle merveille de passer l’été à Paris, de n’avoir aucune obligation ! Pas d’examen à passer, pas de devoirs à rendre, pas de cours à suivre. Strictement rien à faire, sinon batifoler avec Mike et se lever à midi. Après, siroter un 18bon café en se gavant de pain frais, se plonger dans les livres qu’elle avait toujours eu envie de lire ou admirer des tableaux qu’elle n’avait encore jamais vus ; et, le soir, retrouver des gens passionnants et excentriques.
Malheureusement, ça n’allait pas durer. D’ici peu, il faudrait bien qu’elle prenne une décision concernant son avenir. Pour l’heure, elle était sur un petit nuage, heureuse de faire ce qu’elle aimait, affranchie du diktat des convenances et des emplois du temps à respecter.
Dee Sleign marchait sur le trottoir, le sourire aux lèvres. Oui, les Français étaient bien plus sensuels que les Anglais, ce n’était pas un mythe. Le boulanger l’avait déshabillée du regard sans la moindre gêne, il avait même fixé son bas-ventre d’un œil franchement lubrique. Un boulanger anglais aurait regardé furtivement sa poitrine par-dessous ses lunettes, sans s’aventurer plus loin.
Elle avait un très léger accent. Anglais, se plut à imaginer le boulanger. Mais peut-être que c’était juste une idée, parce que ça collait bien avec son teint. Il resta à fixer ses fesses pendant qu’elle traversait la rue, hypnotisé par le jeu des muscles sous le coton. Elle retournait probablement à l’appartement d’un musicien chevelu qui traînait encore au lit après une nuit de débauche.
Il fléchit un peu les épaules pour décoller sa chemise de son dos trempé de sueur.
— Fait chaud, hein ?
17Elle extirpa des pièces de monnaie de son sac et paya. Elle sourit à sa remarque et, subitement, devint belle.
— Le soleil ? J’adore.
Elle referma son sac et ouvrit la porte du magasin.
— Merci !
Elle avait le teint rose et blanc, la peau douce et lisse, semblait-il. Mais ce qui en elle retenait surtout le regard, c’était son maintien : un maintien qui révélait l’assurance et la maîtrise de soi, qui indiquait au monde entier que cette fille n’en faisait toujours qu’à sa tête, sans se soucier du reste. Inutile de jouer avec les mots, se dit le boulanger. Ce qu’elle a, c’est qu’elle est sexy, voilà tout !
Non, rien d’une beauté ! conclut le boulanger. Et en même temps tout à fait désirable.
La fille entra et il put se convaincre que c’était loin d’être une beauté : un visage allongé, une bouche petite, des lèvres minces, les dents du haut un peu en avant. Une crinière blonde décolorée par le soleil, avec des mèches plus foncées en dessous. Elle prit un pain sur le comptoir, en caressa la croûte et hocha la tête avec satisfaction.
Trop mince pour moi, décréta-t-il tandis que la jeune fille se dirigeait vers la boutique d’un pas assuré. Et de fait, sa poitrine à peine marquée ne tressautait pas au rythme de ses longues enjambées. Vingt années de mariage avec sa Jeanne-Marie n’avaient pas rassasié l’appétit du boulanger pour les poitrines généreuses.
a légère robe d’été avait dû lui coûter une fortune, pensa-t-il, sans se croire expert en la matière pour 16autant. Le bas, évasé, qui ondulait avec élégance et découvrait ses jambes fines jusqu’à mi-cuisses, permettait d’imaginer des dessous charmants. De les imaginer seulement, hélas.