Citations sur Le crépuscule et l'aube (82)
Dans le jour grisâtre, Edgar aperçut une forme bizarre sur l’eau. Il avait une bonne vue et était habitué à repérer les navires à distance, distinguant les contours d’une coque de ceux d’une haute vague ou d’un nuage bas, mais en cet instant précis, il avait de la peine à reconnaître ce qu’il avait sous les yeux. Il tendit l’oreille, à l’affût d’un bruit lointain, mais n’entendit que le bruit des vagues sur la grève devant lui. Au bout de quelques secondes il crut entrevoir la tête d’un monstre et un frisson d’effroi le parcourut. Il lui sembla discerner des oreilles pointues, de puissantes mâchoires et un long cou qui se découpaient sur la faible lueur du ciel. Il ne lui fallut alors que quelques instants pour comprendre que ce qu’il avait sous les yeux était pire qu’un monstre : c’était un navire viking avec une tête de dragon à l’extrémité de sa longue proue incurvée. Un autre vaisseau surgit à l’horizon, puis un troisième et un quatrième. La brise du sud-ouest qui forcissait gonflait leurs voiles et les bâtiments légers franchissaient les flots à vive allure.
« 𝐷𝑎𝑛𝑠 𝑙𝑎 𝑣𝑖𝑒 𝑟é𝑒𝑙𝑙𝑒, 𝑛𝑜𝑢𝑠, 𝑙𝑒𝑠 𝑓𝑒𝑚𝑚𝑒𝑠, 𝑑𝑒𝑣𝑜𝑛𝑠 𝑛𝑜𝑢𝑠 𝑐𝑜𝑛𝑡𝑒𝑛𝑡𝑒𝑟 𝑑𝑒 𝑐𝑒 𝑞𝑢𝑒 𝑛𝑜𝑢𝑠 𝑝𝑜𝑢𝑣𝑜𝑛𝑠 𝑎𝑣𝑜𝑖𝑟. »
une copie de l'Evangile selon saint Jean, qui s'ouvrait sur ces mots pleins de profondeur : In principo erat Verbum et Verbum erat apud Deum, et Deus erat Verbum. "Au commencement était le verbe, et le verbe était auprès de Dieu, et le verbe était Dieu." Aldred avait le sentiment qu'il pourrait passer sa vie à tenter de saisir ce mystère.
Quand les témoins n'étaient pas d'accord entre eux, il existait une procédure pour les départager : l'un d'eux devait subir une ordalie, telle que saisir une barre de fer chauffée à blanc et faire dix pas sans la lâcher, ou plonger les mains dans l'eau bouillante pour en sortir un caillou. En théorie, Dieu est censé protéger celui qui disait la vérité. En pratique, Aldred n'avait jamais connu personne qui fût prêt à subir ce genre d'épreuve.
Aldred était à deux jours de route de Shiring et rentrait chez lui d'humeur triomphante. Sa mission dans la vie était d'apporter le savoir et la compréhension là où régnaient auparavant les ténèbres et l'ignorance. Les huit nouveaux livres que transportait Dismas, calligraphiés sur parchemin et superbement illustrés, constitueraient le modeste fondement d'un projet grandiose. Aldred rêvait de faire de l'abbaye de Shiring un prestigieux centre de science et d'érudition doté d'un scriptorium aussi remarquable que celui de Jumièges, avec une grande bibliothèque et une école où les fils de nobles apprendraient à lire, à écrire et à craindre Dieu.
Le jour n’était pas encore levé que Ragna se concentrait déjà sur ce qu’elle allait faire, tout en mangeant un peu de pain trempé dans une bière légère. Elle avait passé la majeure partie de la nuit à arrêter une stratégie. Wigelm méritait d’être châtié, mais la question était secondaire. Sa tâche prioritaire consistait à prouver que ce n’était plus Gytha qui était responsable de la vie domestique de Wilf, mais elle.
Selon la philosophie canine, il était toujours préférable d'aller n'importe où plutôt que nulle part.
Le couple royal accueillit Ragna avec chaleur, ce qui lui mit du baume au cœur. Elle leur annonça aussitôt que Wigelm lui avait pris Alain. La reine Emma étant mère - elle avait donné à Ethelred un fils et une fille durant les quatre premières années de leur mariage -, elle ne pourrait que compatir.
Mais le roi lui coupa la parole avant qu'elle ait achevé la première phrase du discours qu'elle avait préparé.
"J'en suis informé, dit-il. nous avons croisé Wigelm et l'enfant au cours de notre voyage."
C'était une nouvelle inattendue - une mauvaise nouvelle.
Une immense tristesse l'envahit. Il regrettait l'infatigable jeune homme qu'il avait été, ce garçon qui lisait, apprenait, absorbait les connaissances comme un parchemin absorbe l'encre et qui, ses leçons terminées, dépensait une énergie égale à enfreindre les règles. En allant à Glastonbury, il avait l'impression de se rendre sur la tombe de sa jeunesse.
Les suppôts du mal parvenaient toujours à leurs fins, semblait-il: Dreng, Degbert, Wigelm, Wynstan. Peut-être en irait-il toujours ainsi en ce bas monde.