PLUMES FEMININES 2022
Elle voulait vivre dans un tableau de Chagall –
Gaëlle Fonlupt***
berni_29, HundredDreams, Fanny1980, Romileon
« Si toute vie va inévitablement vers sa fin, nous devons durant la nôtre la colorier avec nos couleurs d'amour et d'espoir. » Marc Chagall. Louiza imaginait la sienne une plongée heureuse dans le bleu « vivre comme dans un tableau de Chagall, enivrée de couleur, légère, émerveillée, dans un ciel habité par tout ce qu'exhale la terre. » p.37, vivre le Cantique des cantiques un des plus beaux chants d'amour.
Louiza rencontre Nils à l ‘Ambassade de France au Vietnam,
un amour passion, les corps s'appellent avec désir soif et faim. C'est du passé, le présent c'est différent, et d‘un chapitre à l'autre, en alternance, le passé et le présent se dévisagent, se heurtent, se disputent la place dans le corps, dans la mémoire.
J'ai l'impression d'un réel présenté d'une manière irréelle et vice versa, deux fils d'un canevas en train de faire la trame, et un autre fil comme une obsession douloureuse, un poids, un pied lourd dans l ‘atmosphère de l'histoire. Fil rouge fil de plomb fil qui sillonne et creuse, une douleur reste présente, un mal être, un vide, un blanc, et un rêve de bleu.
L'histoire d'
un amour charnel, envoûtant, qui possède, handicape, comme une mauvaise drogue, et dont la disparition violente, pourtant attendue par les sens et une appréhension certaine, amène un présent d'enfermement imposé, en psychiatrie. Pourquoi, comment, le roman nous les dévoile à la fin, et tout au long, d'un chapitre à l'autre ce fil rouge, une corde épaisse de désirs, d'envols et de chutes, de rêves et de cauchemars, dont la densité empêche la respiration, cultive l'étouffement.
Chapitres du roman, datés avec précision, chapitres de vie dont les contours sont moins précis, passages du "toi" et"je » avec un verbe têtu au présent pour une histoire passée, à "elle" une Lou au présent mais détachée de son « je », le présent de l'enferment, celui du brouillard, de la perte de sens et de l'illusion, du passé au présent, de la réalité au rêve/cauchemar, et le bain de bleu, bleu dans les rêves, blues en réalité, le présent est flou, le passé est perdu. le passé passion revient pour faire mal, le présent embrouillé vit avec médicaments et un personnel pas toujours soignant. Lourd à porter, du début à la fin, d'un rêve de légèreté échoué, vers un maintenant qui isole, tue un espoir plutôt faible d'un avenir incertain.
Cet amour, envie et chair, existe quelque part dans un temps de perte et de douleur. Tu – Je, le corps appelle à cause et malgré tout, se déchire dans l'absence, éclot dans la présence. D'une douleur à une autre, d'un temps à un autre, les deux marqués par des pertes , perte d'amour, corps en souffrance, perte de liberté , enfermée en psychiatrie. Impressions, surface et profondeur, « dualité intime... amoncellement anarchique de ma resserre où se sédimentent les choses qui ne servent plus mais dont je ne parviens pas à me défaire. » p.59
Gaëlle Fonlupt a de la poésie, des envolées lyriques, de la colère aussi contre des traitements en manque d'humanité, contre certaines institutions souffrant du même manque. La structure du roman, une trame serrée où le temps et le clair-obscur se serrent, s'entremêlent, obscurcissent les souvenirs et puis s'envolent en emportant les rêves et
l'écume des jours.
Elle voulait vivre dans un tableau de Chagall, trouver l'amour mais il lui a fait mal, rester légère pour l'homme de sa passion mais la passion n'est pas légère, son corps a gardé la lourdeur du manque, elle voulait garder cet amour mais elle l'a perdu, il lui est resté un rêve une illusion, elle a perdu l'envol comme Icare ses ailes, Chagall revient. Elle voulait l'impression de légèreté dans les envols et les couleurs de Chagall, elle est restée avec le clair-obscur de Caravage.
Gaëlle Fonlupt nous présente un énorme éventail de possibles champs d'analyse, d'interrogations, des citations des grands écrivains à chaque début de chapitre ouvrant au lecteur de multiples portes vers des réflexions et des décryptages de l'histoire, des appels et rappels, de Chagall à
Dino Buzzati à Rumi,
François Cheng, Camus, Jaurès et de retour à Chagall, les Pensées de Pascal, Les Ames mortes de
Gogol,
Boris Vian ou
L'Enchanteur de
Barjavel et du Transsibérien de
Blaise Cendrars à l'
Antigone d'
Anouilh qui nous dit« La vie n'est pas ce que tu crois... »
Une arborescence immense et des ouvertures sans nombre vers des idées, des réflexions en torrents denses et continus qui, à mon avis, réduisent beaucoup la force du roman, la mémoire refuse l'oubli, l'atmosphère devient lourde, étouffante, le fil de l'histoire se tend à la limite de la cassure, se noue, s'entortille, s'épaissit, se serre autour de la gorge, empêche l'air de passer, le trouble domine, les mots menacent, le temps a mis du plomb dans sa patte, l'espoir et la légèreté restent dans le pays de l'imparfait, «
Elle voulait vivre dans un tableau de Chagall ».
Un dernier mot adressé aux amis Babelio qui se sont joints à cette lecture commune et dont les échanges ont enrichi le décryptage du roman et fait naître différentes interprétations et d'autres possibles regards sur l'oeuvre de
Gaëlle Fonlupt.
Merci à Sandrine (HundredDreams), Bernard (berni_29), Fanny (Fanny1980) et Nathalie (Romileon).