Citations sur Au péril de la mer (71)
Plus que des maisons de pierre et de bois nous habitons d'abord des maisons de mots, tremblantes et pleines de jours.On dit je t'aime pour se réchauffer; on dit orange, et l'on sent ses doigts; on dit il pleut pour le plaisir de rester à l'intérieur, pelotonné près de la lumière du mot livre.( Livre, qui vient de liber: la partie vivante de l'écorce d'un arbre, mais aussi liberté.)
Plus que des maisons de pierre et de bois, nous habitons d'abord des cabanes de mots, tremblantes et pleines de jour. On dit " je t'aime " pour se réchauffer; on dit "orange", et l'on sent ses doigts; on dit il " pleut " pour le plaisir de rester à l'intérieur, pelotonné prés de la lumière du mot " livre " . ( "Livre " qui vient de liber: la partie vivante de l'écorce d'un arbre, mais aussi" liberté " .)
Longtemps j'ai cherché à comprendre pourquoi le Mont-Saint-Michel m'avait fait si forte impression. Bien sûr, il est majestueux, souverain, grandiose ; mais pourquoi sa découverte était-elle liée dans mon esprit au besoin ou, plus exactement, à la possibilité d'écrire ?C'est que j'étais, pour la première fois, arrivée au pays des livres. Il existait. Je pouvais y vivre.
Entre matines et laudes, il descend une lumière bleue, le temps s'arrête pour reprendre son souffle. Cette heure n'est pas pour le commun des hommes, qui ronflent tranquillement : elle appartient aux malades, aux fous et aux amoureux.
La bougie ne s’éclaire pas elle-même. Sa lumière révèle ce qui se trouve autour d’elle.
(Alto, p.130)
Mon temps autrefois m'appartenait entièrement, et aux livres. Aujourd'hui, chaque minute consacrée à lire ou à écrire est une minute que je ne passe pas avec ma fille ; l'écriture s'accompagne désormais d'une hâte et d'une culpabilité détestables. C'est du temps que je lui dérobe, que je ne retrouverai pas, que j'aurais dû lui consacrer et que je n'aurai jamais passé avec elle. Depuis sa naissance, je me prends à penser au futur antérieur et au conditionnel passé, des temps compliqués qui sont le signe qu'on considère les choses sous un point de vue autre que celui depuis lequel on parle normalement : demain vu comme passé, hier comme possibilité.
Il s'est retouné vers moi mais je ne regardais plus la massive construction de pierre perchée sur ses contreforts; je contemplais son reflet tremblant dans l'eau de la baie. Écrasé par cette grandeur terrible , je m'étais réfugié dans l'abbaye que dessinait le soleil sur le sable. Je préférais l'image à son modèle, l'ombre à la pierre.
Le plus difficile, en essayant d'écrire le passé, [...] c'est d'oublier le monde tel qu'on le connaît ; [...] d'effacer tout ce qui n'était pas encore, tout ce qui existait mais échappait à la vue et à l'entendement.
À ce moment, j'ai compris en un éclair comment il aurait fallu peindre les yeux d'Anna : raser cette abbaye pour en broyer les pierres jusqu'à la dernière, arracher une à une les écailles d'argent au dos des poissons, ouvrir de force les huîtres pour en racler la nacre, vider les yeux des oiseaux habitués de voir le ciel d'en haut, mêler tout cela à l'eau de la mer et à la pluie des nuages au-dessus de la baie, attendre qu'un rayon de soleil vienne y boire, le tuer.
Il faut bien mal dormir pour être accusé de déranger des hommes qui se lèvent toutes les trois heures pour aller prier.