Livre admirable de Foucault qui jette les bases de la méthodologie qu'il développera ensuite et questionne le concept central de la philosophie occidentale moderne : la raison.
Sur le plan méthodologique, Foucault prolonge le geste nietzschéen. Il ne raisonne pas dans la théorie et l'abstrait, mais se fonde sur des textes, ce qui les a rendus possibles, leur histoire. Il nous livre une histoire des interprétations de la folie. Cette méthodologie, inaugurée par
Nietzsche dans
la Généalogie de la morale, lui permet de déplier les imbrications sous-tendues par la folie et la manière dont celle-ci a été traitée dans l'histoire.
Descartes inaugure le bal avec son doute méthodique : selon lui, le rêve est plus propre à le faire douter, car ce serait être fou que de se croire fou (je paraphrase, n'ayant pas le texte sous les yeux). Foucault démontre que cette position est en fait constitutive de la raison. Nous avons la raison parce que nous ne sommes pas fous, et c'est parce qu'il y a des fous que nous savons, à rebours, que nous sommes dotés de la raison. Paradoxalement, la raison s'est donc construite négativement en regard de la folie.
Il y a de magnifiques pages sur l'ombre que fait planer la folie sur le soleil de la raison : le rêve assurait à
Descartes l'exercice de sa raison, mais l'hypothèse de la folie faisait tout vaciller.
Au-delà du seul travail conceptuel, Foucault montre comment la folie a d'abord été conçue comme entité abstraite avant de s'incarner dans des individus concrets. On ne parlera plus de "la folie" mais "des fous". Toutefois, le mouvement souterrain du concept continue à travailler : en assignant la qualité de "fou" à certains individus, le périmètre de la folie est très précisément bornée. Elle n'a donc plus à inquiéter la raison, puisque nous savons où la folie se trouve : chez les fous. Il ne reste plus qu'à l'enfermer : mettre les fous à l'asile. le travail cartésien s'est ainsi prolongé. Là où
Descartes écartait purement et simplement l'hypothèse, de peur de menacer le cogito, les modernes ont adopté une conception de la folie leur permettant d'en circonscrire le périmètre et, partant, d'en écarter définitivement la menace sur le travail de la raison.
Démonstration remarquable.
Ces travaux seront prolongés dans les ouvrages postérieurs de Foucault intéressant la psychiatrie.