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Lors d'un apéro avant-hier, autour de la table, une nana ânonne : « moi je peux raconter ma vie sexuelle dans tous ses détails à n'importe qui, ça me gêne pas ». Bravo. Les compliments ne tardèrent pas à choir pour la faire taire rapidement. Pas une once d'imagination. Spinoza évoquait « cette fameuse liberté humaine que tous se vantent d'avoir ! ». Elle consiste « dans le fait que les hommes sont conscients de leurs appétits et ignorants des causes par lesquelles ils sont déterminés ». Souvenez-vous, grands poupons : « C'est ainsi que le bébé croit librement appéter le lait, que l'enfant en colère croit vouloir la vengeance, et le peureux, la fuite ». On commence même à penser qu'il serait judicieux de bourrer la tête du gosse qui ne sait toujours pas se torcher le cul tout seul de notions sur la sexualité. C'est quand même plus bandant que de faire des maths et du français. Enfin, ouf, on se prépare peut-être à créer de nouvelles générations de dégoûtés du cul, ça permettra à la situation démographique de se désenclaver un peu. A vous qui ne souhaitez pas lire ce livre mais désirez quand même en connaître les grandes lignes, voici l'interrogation majeure qui le parcourt : « La question que je voudrais poser n'est pas : pourquoi sommes-nous réprimés, mais pourquoi disons-nous, avec tant de passion, tant de rancoeur contre notre passé le plus proche, contre notre présent et contre nous-mêmes, que nous sommes réprimés ? » Aliénation extrême : ce qui semble refléter la condition de notre libération n'est en fait qu'un arsenal déployé par la sphère dominante –autrefois la bourgeoisie- pour faire circuler les savoirs et les pouvoirs dont la plus haute fonction, désormais, n'est plus de tuer mais d'investir tous les domaines de la vie (éducation, démographie, forces vitales). Michel Foucault analyse ainsi, pour les démolir, les raisons d'un savoir qui se prétend neutre alors que les désirs commandent la manière dont il va être déployé. Eric Zemmour a parlé de ce livre dans son récent ouvrage « le suicide français ». Il indiquait que la sexualité, qui a fait du sexe un problème, est une construction culturelle et historique imposée par le pouvoir normatif de l'Etat : « Je fabrique quelque chose qui sert finalement à un siège, à une guerre, à une destruction ». Pas de sexualité = on ne pense pas au sexe comme un problème, on le fait quand il le faut, et puis basta. Comme quoi, Eric Zemmour ne raconte pas toujours n'importe quoi, n'en déplaise aux partisans de la lobotomisation culturelle. Mais revenons-en à Michel Foucault : « Ne pas croire qu'en disant oui au sexe, on dit non au pouvoir ; on suit au contraire le fil du dispositif général de sexualité ». Donc, vous ne faites rien de subversif lorsque vous racontez votre vie sexuelle à n'importe qui pour faire croire que vous êtes détendu du gland, lorsque vous organisez des soirées sex toys à domicile avec vos collègues (aucune dignité) ou lorsque vous enseignez à votre gosse de cinq ans comment bien se masturber. Tout au plus indiquez-vous votre résignation face à un pouvoir que vous n'avez même pas reconnu, pris au piège par l'ironie de ce cruel dispositif de sexualité qui «nous fait croire qu'il en va de notre « libération ». » + Lire la suite |
Michel Foucault : Histoire de la sexualité, La volonté de savoir avec Paula Jacques (1977 / France Culture). Michel Foucault, le 5 mars 1976. (Photo Sophie Bassouls. Leemage). Diffusion sur France Culture le 11 janvier 1977. C'était dans un "Après-midi de France Culture" dont Michel Foucault était l'invité, à l'occasion de la parution de "La volonté de savoir", premier tome de son "Histoire de la sexualité". Comme il était annoncé en début d'émission, cette "Histoire" devait initialement comporter six volumes, mais seulement trois paraîtront entre 1976 et 1984, année de la disparition de Michel Foucault. En 2018, est venu s'y ajouter un quatrième avec la parution des "Aveux de la chair". « Je n'ai pas voulu écrire l'histoire des comportements sexuels dans les sociétés occidentales, mais traiter une question plus sobre et plus limitée : comment ces comportements sont-ils devenus des objets du savoir ? » C'est ce qu'écrivait, en 1977, Michel Foucault dans la préface à une édition allemande de "La volonté de savoir". Le projet de cet ouvrage, il en raconte la genèse et en expose ici les ambitions au micro de Paula Jacques. Ainsi, il expliquait : « Je me suis demandé si cette analyse en terme tactique, stratégique et positif du pouvoir, que j'avais fait à propos de la prison, si cette analyse on ne pouvait pas la transposer à propos de la sexualité. Et si à propos de la sexualité il ne fallait pas poser plutôt le problème : mais qu'est-ce qu'on fait avec la sexualité ? Qu'est-ce qu'on fait quand on en parle ? Quand on s'intéresse à elle ? À quoi ça sert de s'y intéresser ? De sorte que le problème de l'interdit ne doit pas être le problème premier. »
Source : France Culture