Citations sur Jeune-Vieille (25)
Je me suis rendu compte dans la cour de récré qu’il est plus dur de raconter un livre qu’un film. Un film ce sont des gestes, des images, un rythme qui sont destinés à être partagés entre les gens enfermés dans une même salle, ou un même lieu. Le projet de consommation est collectif, il est déjà un récit de l’histoire qui est contée ; je vois ce que tu vois et je vois autre chose mais nous le voyons ensemble. Cela donnait de belles envolées dans la cour. Même si je racontais mal ou si je rusais dans la trame, celles et ceux qui avaient vu le film le reconnaissaient plus ou moins.
Pour avoir essayé d’en raconter, je me suis rendu compte que le livre est plus secret qu’un film. On peut raconter un livre entier sans que quelqu’un qui l’a pourtant lu le reconnaisse. C’était un sentiment étrange, comme si en plus d’être une histoire, le roman était aussi un mensonge ou un secret.
L'écriture devint ma cabane. Dans un arbre perchée, bâtie de courants d'air, d'échardes et de clous qui dépassent, malcommode, mais au-dessus du monde. J'y montais mes idées noires, mes pensées étranges, des croûtons de pain au cas où viendrait la famine ou la faim, un bol de pluie pour l'oiseau à plumes et de l'encre. c'était mon repli, mon recoin. Je pouvais y monter mentalement à chaque instant (...) quand j'avais trop de choses en équilibre sur la tête et que je devais les déposer en urgence. Je connaissais par coeur les noeuds de l'écorce qui me permettaient de grimper sans peine et de devenir invisible. (p. 66)
Robert [l'éditeur de l'héroïne] avait l'habitude de dire que son métier consistait à planter des arbres. Un métier de patience et de longueur de temps, un métier qui déborde les dimensions de sa propre vie. Découvrir un jeune auteur, l'accompagner pendant la douzaine d'années qu'il faudra pour le rendre visible, le faire grandir, lui trouver des critiques puis des lectrices, c'est voir loin au-delà de soi-même. (p. 90)
Oli est un bon mari mais il n'aime pas que j'écrive. Ou plutôt il aime quand j'écris mais il a du mal à comprendre que le plus souvent ne pas écrire est le seul moyen d'écrire. Il s'étonne de mes distractions, de mes lenteurs, de mes impuissances. (p. 123)
Pour avoir essayé d'en raconter, je me suis rendu compte que le livre est plus secret qu'un livre. On peut raconter un livre entier sans que quelqu'un qui l'a pourtant lu le reconnaisse. C'était un sentiment étrange, comme si en plus d'être une histoire, le roman était aussi un mensonge ou un secret. (p. 25)
Ecrire et publier des livres n'avait jamais fait d'elle un écrivain, mais passer à la télé, oui. Elle n'était pas plus lue, mais les gens savaient qu'elle écrivait. Maintenant, ils en étaient sûrs puisqu'ils l'avaient vue à la télé. (p. 150)
On va publier mon nouveau livre, on va le lancer et on va en faire un film. Enfin. Et tout le monde va me caresser dans le sens de mon mauvais poil.
-Alors pourquoi la pire chose ?
-Parce que j'obtiens tout cela au prix d'une trahison qui me troue le coeur.
-Votre mari ?
- Non, mon éditeur. Celui sans qui je ne serais pas écrivaine, celui que j'aime plus que tout, mais qui ne peut pas me donner ce que les autres me donnent: l'argent, le tapis rouge, tous ces rêves crétins de quand j'avais treize ans et qui m'ont sournoisement accompagnée jusqu'ici. (p. 133)
Un matin où le cours de littérature à la fac s'annonçait particulièrement prometteur, je décidai de sécher pour écrire. Il me semblait que le temps de l'écriture devait être volé à quelque chose d'essentiel; pour que l'important soit plus important que l'important. -Mon- texte devait batailler avec Bataille, rien que ça.(p. 35)
Après c'était l’œuvre du soleil. Étendue sur la rabane, les yeux clos, je guettais le moment où le tremblement s'apaisait, où les lèvres retrouvaient la parole, où le chaud du ciel reprenait possession de moi pour bientôt me brûler jusqu'au-dedans et me faire la confidence de mon existence.
Sa voix est taillée dans la même soie que sa cravate. (p. 126)