Dieu se sent seul.
- J'ai envie d'inventer d'autres dieux. (...) Ça va faire de l'animation, du ramdam. Les croyants des nouveaux dieux penseront être les seuls à honorer le vrai Dieu. Ils iront prêcher la bonne parole aux croyants des autres dieux. Ils iront les évangéliser. Avec des bonnes paroles et des fusils. Au nom de leur dieu ils s'entre-tueront. On appellera ça les guerres de religion.
- Qu'est-ce que vous ferez pendant ce temps-là ?
- Je leur vendrai des fusils.
- Qui va gagner ?
- Personne. Tout le monde va perdre, sauf moi.
- Vous pensez que ça va durer longtemps ?
- Avec un peu de chance, ça peut durer des siècles et des siècles.
- Il va falloir changer votre campagne publicitaire. Je pense au slogan "Aimez-vous les uns les autres".
- J'avais prévu, il suffit de changer une lettre.
- Laquelle ? demande Saint Pierre.
- Le i de aimer. Mettez un r à la place. Essayez. Qu'est-ce que ça donne ?
- Armez-vous les uns les autres. Bravo, dit Saint Pierre.
Je vais inventer l'injustice, dit Dieu, de fort méchante humeur. Je vais rendre les hommes inégaux. (...) À l'instant même, je fais naître deux enfants, un à Genève, un autre en Éthiopie. Le père de l'un aura une grande villa, le père de l'autre aura le sida. L'un apprendra un métier, l'autre apprendra à mendier.
- Ils vont se détester ?
- Bien pire, ils vont s'ignorer.
Il a observé un couple enamouré qui se disait des je t'aime, des toujours, et des jamais. Ça l'a passablement agacé. Il trouvait ça vulgaire.
Et comme chaque fois qu'il voit des gens heureux, Dieu a la nausée et il réfléchit à ce qu'il pourrait bien inventer.
Après avoir inventé le feu qui détruit tout, par une nuit de grand vent, Dieu décide d'inventer la passion.
- Ca vient du mot latin passio qui veut dire souffrir, ce sera une maladie, explique-t-il à Saint Pierre.
- Elle sera douloureuse ?
- Non, pas au début.
- Les premiers symptômes ?
- Des frissons, la chair de poule, comme avant la grippe.
- De la fièvre ?
- Beaucoup. Des vertiges, un éblouissement, et un bonheur comme on n'en a jamais connu.
- Et après ?
- Un malheur comme on n'en a jamais connu.
- Ça peut arriver à n'importe qui ?
- Oui, on rencontre quelqu'un et plus rien autour n'existe.
- Ce quelqu'un, comment est-il ?
- Comme tout le monde, pas mieux, pas pire.
- Comment on le reconnaît ?
- Á la façon dont il vous regarde. Et puis un jour on s'aperçoit qu'on s'est trompé. Ce n'était pas ce qu'on attendait et on se quitte. On regarde autour de soi. C'est tout noir, il ne reste plus rien, que des cendres. Comme après un incendie. Et on repart à la recherche d'un autre quelqu'un qui va vous apporter le bonheur.
- Et on le trouve ?
- Non.
- Pourquoi ?
- Parce qu'il n'existe pas. La la la lère...
Et Dieu part en esquissant un pas de danse.