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sur 74 notes

Critiques filtrées sur 3 étoiles  
«Le Radeau de la Méduse », immense toile de Théodore Géricault inspirée par un drame de l'actualité, ne peut manquer d'influencer toute notre lecture de Franzobel. L'ancien régime a volé en éclats avec ses têtes et ses valeurs. La légende napoléonienne a disloqué l'Europe, enfiévré les esprits. La chute du dernier conquérant épique désespère les énergies, déchire les rêves de gloire, exacerbe les antagonismes. En ce début de siècle, les plus intrépides s'embarquent pour des contrées exotiques comme l'Afrique. Les artistes cherchent en eux des motifs d'exaltation ou de simples raisons de vivre. La peinture romantique de la Méduse instaure un espace romanesque où se déploie la tempête des sentiments, le tableau semble se construire sur une dynamique émotive chargée de discipliner la violence illimitée des mouvements internes. L'artiste n'a placé qu'une mince bande d'un ciel tourmenté de nuages en accord avec la sinistre mêlée des anatomies. Là des corps s'accumulent en deux pyramides humaines : renoncement, avachissement et mort au fond de l'embarcation, élancement et espoir de salut à sa tête.


Il aurait fallu sans doute de la démesure et bien d'autres moyens littéraires pour reprendre ce flambeau là et tenter de peindre, d'actualiser l'enchevêtrement des destins, des conditions, des aspirations. La bien trop prudente tentative de Franzobel n'est pas sans intérêt mais elle semble manquer irrémédiablement sa cible. Certes, on lira sans déplaisir un roman de mer de plus et on découvrira les détails sordides de l'histoire d'un vrai naufrage et d'un authentique tableau. Dans ces pages, il ne manque pas une voile, pas un cordage à la Méduse en partance pour le Sénégal ; l'accastillage est au complet et les termes de marine dépaysants ; les matelots sont dans les haubans et les officiers président à d'obscures manoeuvres. Sous le vent, les personnages historiques se mêlent aux personnages de fiction, ils se meuvent malheureusement dans un monde simpliste, un monde en bonnes et bien épaisses tranches napolitaines. le pouvoir est aux royalistes sur le pont, au très incompétent et très faible commandant Hugues Duroy de Chaumareys, à son fabulateur ami Richeford, au très suffisant gouverneur Julien-Désiré Schaltz, au commandant du contingent Paulin Etienne d'Anglas de Praviel. La compétence aux ordres est aux mains des bourgeois républicains et bonapartistes du navire, aux officiers tels que Reynaud le second, Savigny le savant médecin de bord ; aux experts tels que Corrérard l'ironique ingénieur, Griffon le froid administrateur ; aux commerçants Picard et consorts. La plèbe des matelots, des mousses et des militaires du rang enfin, semble dans la cale n'écouter que ses délétères pulsions qu'il conviendrait urgemment d'endiguer. Heureusement, il y a quelques goûteux raisins de Corinthe dans cette dernière tranche, de rares raisins sans lesquels la petite cuillère nous resterait dans la bouche et le livre nous tomberait irrémédiablement des mains. Victor, le mousse fugueur, martyrisé par le chef cuisinier Gaines et son aide Clutterbucket, protégé par le matelot Osée Thomas, particularise et humanise un peu le récit.


Franzobel introduit lourdement de nombreux anachronismes dans son roman (rayons UV, cancer de la peau, changement climatique, contrôle de sécurité, syndicats, travail d'enfant, etc.). Il semble craindre que des liens ne s'établissent pas avec l'histoire présente. L'anomie qui découle du manque de régulation de la société sur l'individu, c'est entendu, est le sujet de ce livre, la préoccupation centrale de l'auteur. le recul des valeurs sur la Méduse, puis s'accélérant sur le radeau, conduit à la diminution et à la destruction de l'ordre social : les lois et les règles ne peuvent plus garantir la régulation sociale et l'impensable implacablement surgit. Rien là, qu'après Emile Durkheim, nous ne sachions déjà. « La politique est la grande génératrice et la littérature la grande particularisatrice, et elles sont dans une relation non seulement d'inversion mais aussi d'antagonisme… Quand on généralise la souffrance, on a le communisme. Quand on particularise la souffrance, on a la littérature. » Nous attendions, comme le suggère Philip Roth, que Franzobel dise autre chose, dise d'avantage et différemment que la sociologie. Sur le navire les violences sont coutumières, omniprésentes. C'est la brutalité des supérieurs sur les subalternes d'une société de punition et la flagellation jusqu'à la mort du matelot Prust ; c'est la supériorité du fort sur le faible et le supplice de Victor dans la cambuse ; c'est l'optimisation des chances de survie et le sacrifice des malades sur le radeau ; c'est enfin la condamnation pour vol de nourriture d'une microsociété de surveillance et le meurtre perpétué sur deux jeunes ouvriers … La philosophie à la petite semaine sur la soi-disant nature humaine, la misanthropie latente et le regard surplombant du narrateur semblent dominer ce récit et servir d'explication. Cela nous parait grandement insuffisant. Nous aurions aimé pénétrer d'avantage les personnages, saisir de l'intérieur leurs revirements incessants, leurs passages de la soumission à la révolte ; comprendre leurs acceptations successives de la punition, puis de la surveillance, puis du calcul utilitaire. Nous aurions aimé sonder les coeurs, les reins, les têtes de ces anti-héros ordinaires, comprendre les failles, les déchirures et les indicibles peurs à l'oeuvre dans ce drame. Ce roman de l'anomie en pleine mer sans aucun doute reste à écrire.
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Franzobel (pseudonyme pour Franz Stefan Griebl), né en 1967 à Vöcklabruck, est un écrivain autrichien. Après avoir fait des études d'allemand et d'histoire et travaillé au Burgtheater de Vienne, en 1989 il se lance dans l'écriture. A ce point de folie est son tout nouveau roman.
Le 17 juin 1816, La Méduse quitte Rochefort à destination de Saint-Louis au Sénégal, embarquant 400 passagers sans compter l'équipage. Au commandement, un capitaine dont l'incompétence avérée est à l'origine du naufrage de la frégate après quelques jours de mer. Comme les chaloupes sont en trop petit nombre, 147 voyageurs sont abandonnés sur un radeau. Seuls quinze d'entre eux en réchapperont au terme de treize journées d'enfer, jalonnées de meurtres, de corps dépecés et d'ultimes stratégies de survie. L'un des rescapés, le médecin de bord Jean-Baptiste Henri Savigny, fera le récit de ce périple tragique, que le monde entier voudra connaître jusque dans ses détails les plus atroces…
Comme l'indiquait le sous-titre du roman, « d'après l'histoire du naufrage de la Méduse » et ce court résumé, A ce point de folie nous entraine dans cette folle aventure dramatique. S'il s'agit bien d'un roman, tout y est vrai aussi, les noms et les faits, comme j'ai pu le vérifier par de rapides recherches.
Je ne vais pas m'attarder plus longtemps sur l'histoire, le résumé en dit l'essentiel et le reste vous le lirez. Sachez que c'est rondement mené d'une écriture très vivante et qu'on lit ce bouquin goulûment du début jusqu'à la fin. Les personnages sont particulièrement bien campés (en particulier les officiers bouffis de suffisance et d'incompétence), les dialogues sont fort bien troussés, c'est bien documenté sur la vie à bord en ces temps-là, le texte est imagé et l'écrivain a choisi de maintenir une certaine distance entre son texte et le lecteur soit en usant de phrases telles que « Quant à nous, qui avons pour l'instant bien assez visité les entrailles crasseuses du navire, nous devrions être impatients de savoir ce qui se passait sur le gaillard d'arrière, là où se tenait le capitaine… », à moins qu'il n'y glisse des références contemporaines comme ce, « Imaginons un genre de Lino Ventura jeune. »
L'humour est aussi du voyage, « … elles jouissaient de l'attention qu'on accordait à bord à toutes les créatures féminines (depuis la figure de proue jusqu'à la chèvre embarquée, en passant par la fille du gouverneur) » et les clins d'yeux aussi, « il levait la main en signe de refus. Je préférerais ne pas. » Tout cela pour vous dire, et je voudrais insister sur ce point : certes il s'agit d'un drame, de plus historiquement avéré, mais Franzobel a pris délibérément le parti d'en parler sans appuyer sur le côté morbide et atroce des faits, tout au contraire, le texte est léger, très souvent drôle même dans les pires situations. Que ceux qui seraient effrayés, a priori, par les cadavres et le cannibalisme qu'on sait trouver dans ce livre, n'aient peur, le ton général du récit vous fera digérer (sic !) le truc.
Voilà pour la forme. Pour le fond, la question centrale du cannibalisme est posée, « Il devait manger, mais l'effroi le paralysait. Il s'accrochait à des mots comme morale, civilisation, culture, tel un noyé s'agrippe à son tronc d'arbre. » Sauf que les mots sont bien beaux quand on disserte dans un fauteuil dans son salon… Avec de ci-de là, quelques résonnances avec l'actualité et ces migrants en Méditerranée…
Un bon roman et je le répète lourdement, beaucoup moins épouvantable que certains (comme l'éditeur ?) voudraient nous le faire croire…
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17 juin 1816, plus de 400 personnes, matelots, soldats, membres du commandement, familles bourgeoises, les voilà embarqués sur la Meduse en direction du Sénégal. le désir de richesse et de supériorité dans ce nouveau pays, un renouveau pour certains, l'ambiance est à la fête sur le bateau. Cette fête s'achèvera par un naufrage, malchance? Incompétence du capitaine? Une chose est sûre, tous les passagers ne pourront pas être sauvés, il n'y a pas assez de canots de sauvetages. Comment choisir qui aura la chance de partir en canots? Comment laisser les autres derrière sans se sentir coupable? On n'a qu'à construire un radeau voyons! Un radeau qui accueillera plus de 100 personnes abandonnées à leur triste sort. Des rescapés, il n'en restera pas beaucoup, mais ils seront tous changé, comme si une part de leur humanité s'était envolé.

J'ai eu l'occasion de lire A ce point de folie grâce à une masse critique organisée par Babelio, peut-être que ce début d'année scolaire chargée n'était pas le bon moment pour le lire, mais je n'ai été que moyennement emballée par cette histoire.
On pourrait diviser ce roman en trois parties, des parties qui sont pour moi bien distinctes puisque je n'ai pas ressenti la même chose pour chacune d'elle. La première partie peut être un peu déroutante puisqu'il s'agit de l'après naufrage: le sauvetage et ce qu'il advient ensuite de quelques personnages. On est donc tout de suite dans le vif du sujet et on sait forcément que le voyage se terminera par un naufrage dont peu de gens seront sauvés. J'ai malheureusement trouvé cette partie un peu ennuyante, je n'arrivais pas à me plonger dans le livre, il y avait beaucoup de personnages et au début il était difficile de tous les retenir (leur nom et leur fonction).
La deuxième partie a été plus intéressante, c'est là que j'ai commencé à être emportée par l'histoire. Dans cette partie, on est sur le bateau pendant la traversée avant le naufrage, on suit les décisions des commandants, les péripéties de certains personnages comme le médecin de bord, un jeune garçon qui s'est rapidement fait ennemi du garçon de cuisine, un homme étrange avec un perroquet du nom de William Shakespeare, une famille nombreuse et atypique... Bref beaucoup de personnages auxquels on va essayer de s'attacher pendant le voyage (si je dis essayer c'est qu'on ne peut pas s'attacher à tous les personnages du roman). J'ai trouvé cette partie intéressante, parfois amusante et parfois déroutante (on est au XIXème siècle, la peine de mort est encore légale, même sur un bateau), mais elle a fini par être un peu longue. Finalement, comme je savais qu'il y aurait un naufrage, je ne pouvais m'empêcher de l'attendre, presque avec impatience!
Arrive enfin la troisième partie avec le naufrage, la survie et le sauvetage. C'est cette partie que j'ai préféré! On passe par tous les sentiments: de la peine, de l'amusement, de l'écoeurement même. On se pose des questions sur l'humanité: que ferais-t'on à la place des personnages? Aurions-nous fait les même choix? Beaucoup de remise en question et de décision des personnages qui ne nous laissent pas indifférent. Là encore, j'ai pu trouvé des longueurs, mais j'ai trouvé cela moins grave puisque j'étais entièrement happée dans l'histoire et je voulais à tout prix connaître la fin.
A ce point de folie est porté par une plume époustouflante! Une écriture dense, qui ne se lit pas trop vite certes, mais c'est un plaisir de lire un livre aussi bien écrit. de l'humour noir à foison, des descriptions sans censures, des détails crus et choquants. Franzobel nous sert là une belle oeuvre en respectant si bien les codes de l'époque qu'on s'y serait cru!
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En 1816, la frégate La Méduse quitte la France, direction le Sénégal. L'objectif du capitaine : arriver le plus vite possible à destination, même s'il n'a personnellement jamais dirigé de flotte et ne sait ni lire une carte maritime ni utiliser un sextant. A bord du navire, Victor qui a fui sa petite vie bien rangée pour partir à l'aventure, Osée Thomas un marin avide de savoir, la famille Picard qui déménage tous ensemble ; les soeurs Lafitte qui veulent ouvrir un comptoir…

Mais même si on connaît dès le début l'issue de ce voyage, la traversée commence dès le début dans les pires auspices possibles !

Je trouvais intéressant de s'intéresser à cet événement dont on ne connaît finalement quele tableau qui a, de plus, été édulcoré. le regardant, on plaint les marins sans forcément penser à la véritable situation. Ce roman permet de retracer de façon à la fois précis et romancée le destin des passagers de la Méduse. On commence avec les premiers jours de navigation qui permettent de faire connaissance avec les personnages, mais également de débuter l'horreur avec des descriptions assez crues, qui laissent présager du reste. En effet, dès les premiers chapitres, Victor déchante, le cuisinier et son second étant bien décidés à le torturer le plus possible, voir lui faire la peau. Ensuite, on suivra le destin des canots de secours et évidemment du radeau où plus de 100 personnes se sont entassées dans un premier temps serrés les uns contre les autres, de l'eau jusqu'à la taille, en plein soleil, sans rien avoir à boire ni à manger ou presque.

Même si on commence rapidement avec des passages assez durs, il faut un certain temps pour se familiariser avec tous les personnages ce qui ralentit un peu le récit. On a envie d'entrer dans le vif du sujet, le naufrage et celui-ci se fait attendre. de même à la fin, avec tous les différents canots, je m'y suis un peu perdue et je ne suis plus bien sûre de la survie de tel ou tel personnage. Il aurait d'ailleurs été intéressant d'avoir un aperçu un peu plus large de ce qui arrive par la suite à ceux qui ont pu survivre.

Malgré ces petits défauts et la dureté du texte, c'est un roman historique intéressant qui révèle un des événements connus le plus inconnu de l'Histoire.

Âmes sensibles s'abstenir, amateurs d'Histoire, de navires et de naufrages tragiques, vous pouvez y aller !
Lien : https://girlkissedbyfire.wor..
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