Bon, sujet très touchy que celui-ci, quand on sait le nombre de coachs qu'il y a en France et dans mes proches, j'ai peur de commettre une méga boulette ;-)
Soyons sans détour : les méthodes de développement personnel ont le vent en poupe depuis 20 ans avec une envolée ces 6 dernières années. Il suffit d'aller à la FNAC pour voir l'ampleur du rayon développement personnel, qui fait un peu peur et qui, pour aller dans le sens de l'auteure, reprend les mots clés super trendy comme acceptation (très important ce mot chez les coachs), résilience (la vache celui-là aussi), réussite (tendance américaine), alignement (je ne le supporte plus) ou encore l'expression à 1 million de dollars : « être soi-même » ou encore mieux « devenir soi ». Bon, je dois le reconnaître, le coaching et les méthodes de développement perso me sortent par les trous de nez, mais c'est une déformation professionnelle et personnelle (je crois en la philosophie et en la psychanalyse, alors forcément…). Ceci étant, quand je vois le succès de ces méthodes ou des « accompagnements » (c'est comme ça qu'on dit chez les coachs, et oui), j'en conclue que cela aide bien des gens donc je me tais et tant mieux si les gens vont mieux (mais ça veut dire quoi aller mieux, en fait ?).
Néanmoins, quand j'ai su qu'une philosophe –
Julia de Funès donc – écrivait son point de vue sur le sujet, je me suis ruée dessus. Je savais que j'allais trouver une critique dans le sens de mes perceptions. Mais en fait, pas complètement. Mais je vais y revenir.
Qui est
Julia de Funès, déjà ? Je ne la connais pas mais je sais que c'est une philosophe un peu bankable parce qu'elle a publié plusieurs essais dont un avec un écho plutôt favorable écrit avec l'économiste
Nicolas Bouzou. Pour le reste, je ne sais rien. le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il s'agit d'une auteure qui ne fait pas dans la dentelle, au style un peu agressif voire un peu injuste, ce qui selon moi a affaibli la portée de ses arguments, pour lesquels j'étais pourtant favorable.
A peu de choses près, la thèse défendue par
Julia de Funès est la suivante : « le développement personnel, c'est super naze, et je vais vous le démontrer ». Et je dois reconnaître que les arguments sont pour la plupart plutôt bons, mais forcément j'ai un parti pris.
Que dit-elle en résumé (en très raccourci car cela reste de la philo) ?
1) L'effondrement du religieux et le déclin des valeurs humanistes poussent les hommes à un individualisme sans nom. Ce n'est pas une caractéristique psychologique, c'est devenu véritablement une donnée sociale. Livrés à lui-même, sans Dieu ni maître, avec un rapport au temps complètement différent (il faut tout maintenant, si je ne suis pas heureux je me barre c'est scandaleux !), l'individu n'a plus que cela à faire que de s'individualiser, c'est-à-dire que le seul et unique critère d'une vie réussie devient le « moi ». Et le moi doit être bien à tout moment.
2) le bonheur est devenu une fin en soi. Il faut être heureux à tout bout de champ, ce qui est accentué par une impatience moderne. Pour beaucoup de philosophes, bonheur, malheur, tout ça, c'est le long chemin de la vie. Tout est à prendre et à éprouver. Mais aujourd'hui, non. On peut (on doit ?) changer si ce n'est pas « au top » : de femme, de job, de maison. Comme il n'y a plus trop les valeurs humanistes d'effort et de construction lente, on part se « réinventer » dès que possible, on va « devenir soi » en prenant plusieurs tangentes. Il faut reconnaître que c'est une très grosse tendance de nos sociétés occidentales.
3) le développement personnel rebondit sur ces tendances en vous promettant de vous aider quand cette quête. Mais comme dit l'auteure, à force de proposer des méthodes clés en main (lève-toi à cinq heures du mat, médite tous les jours 10 minutes, fais toutes les semaines quelque chose pour la première fois, pars cinq jours seul, tiens un journal de bord, et blabla, et blabla), on s'éloigne grandement de l'apport hyper individualisé. Même le coach qui vous accompagne est formaté à suivre la grande tendance dominante et va vous parler d'acceptation (accepte ton passé bordel !!), de capacité de résilience (c'est magnifique ce que tu as fait), de rupture (parfois il faut passer du temps seul pour savoir qui on est), le tout bien sûr avec une grande qualité d'écoute.
Julia de Funès dit que les coachs sont des quadras voire quinquas qui ont un peu raté leur carrière ou leur vie pro et qui décident, après avoir vu la vierge lors de leur reconstruction, d'aider les autres à vivre la même chose qu'eux (bon ça, c'est souvent un peu vrai). Mais elle devient carrément méchante en continuant de dire que ce sont quand même des flemmards qui auraient pu se taper les 5 ans d'études de psycho plutôt que la formation courte en deux ans maximum payée une fortune (et oui, toujours cette recherche d'immédiateté et de lutte contre le temps). Attention, amis coachs, ce livre va vous faire bondir…
4) Sous des airs de vous écouter et de vous comprendre, et donc de laisser parler vos sentiments, le développement personnel parle à votre raison et contribue à vous endoctriner dans le « toujours heureux, tout le temps et très vite, puisque moi, moi, moi ». Par conséquent, il conditionne votre raison à percevoir votre vie d'une certaine façon, et à agir en cohérence avec cette vision. Finalement, ce ne sont pas forcément vos sentiments qui parlent, mais votre raison qui influe sur votre perception des sentiments. Je caricature mais c'est un peu le coach qui répète : « Mais Jacques, tu vois bien que tu n'es pas heureux comme ça », alors que Jacques n'a rien demandé. Mais dans trois mois, Jacques sera convaincu qu'il est malheureux, alors il prendra une décision. Or, pour la philosophie, raison et sentiment doivent en permanence s'affronter car c'est le propre de la condition humaine. Dire qu'il faut privilégier l'un au détriment de l'autre n'a pas de sens, car l'un ne vit que parce qu'il y a l'autre.
5) On ne peut pas devenir maître de soi, ce que vous promet le développement personnel. Qui est soi d'ailleurs ? et pourquoi soi aurait une cohérence, une linéarité ? croyance absurde.
6) La philosophie est bien plus intéressante, elle pose des bonnes questions en sachant qu'il n'y a pas de réponse. A chacun d'éprouver par tâtonnement sa vision des choses au moment même où il y est confronté. le développement personnel apporte des réponses, des méthodes, des outils, à des questions mal posées, mal formulées, trop anticipées. Il prive l'individu d'une liberté d'interprétation du monde au profit d'un conformisme individualiste dominant. Bref, il est naze.
Voilà, en très schématisé je vous l'accorde, les propos de l'ouvrage.
Sur le fond, je l'ai dit, je suis un peu d'accord. Et il est très dur d'aller contre l'individualisme dominant et de se recentrer sur son chemin à écrire. Je reconnais une forme de lassitude quand quelqu'un me dit qu'il est coach ou qu'il lit tel bouquin de développement perso, mais je ne suis pas nécessairement objective après 15 ans de psychanalyse et une centaine d'essais de philosophie lus.
Sur la forme, je trouve ça trop violent. Avoir des convictions, c'est ok. Mais démonter des individus pour asseoir ses propos ne me semble ni nécessaire, ni intelligent. Cette agressivité m'a dérangée tout au long de l'ouvrage. Parce que dans le fond, comme le dit cet excellent article de France culture, les ambitions des uns et des autres restent les mêmes : faire en sorte que les individus trouvent un sens, des sens, des références dans leur vie. Inutile donc de partir en guerre.
Bref, je ne dirai pas, comme
Julia de Funès, que le développement personnel est une imposture. Mais je dirai qu'il manque de profondeur et rend un peu les individus homogènes, incolores.
Jo la Frite
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