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Critique de Presence


Ce tome correspond à une adaptation en bande dessinée d'une nouvelle écrite par Neil Gaiman et publiée pour la première fois en 2003. Il est initialement paru en 2018. L'adaptation a été réalisée par Rafael Albuquerque en ce qui concerne le découpage de l'histoire et sa mise en images. L'adaptation en script a été faite en collaboration avec Rafael Scavone. La mise en couleurs a été réalisée par Dave Stewart. L'histoire a été gardée intacte, et les auteurs ont conservé les phrases de Neil Gaiman. le tome se termine avec 10 pages d'études graphiques d'Albuquerque.

Dans la ville de Londres a été placardée une affiche qui indique que la troupe The Strand Players va prochainement présenter un spectacle comprenant trois parties mêlant comédie et tragédie, avec Mon frère identique Tom, La plus petite vendeuse de violettes, Les grands anciens arrivent. À Londres dans les années 1880, un fiacre dépose un fiacre dépose un homme qui marche à l'aide d'une canne devant un immeuble. Il montre les marches pour accéder au couloir et ouvre une porte. Un homme l'accueille est lui disant qu'il voit qu'il a fait la guerre en Afghanistan. le détective lui explique comment il est arrivé à cette déduction, et exposé ainsi cela devient une évidence lumineuse. L'ex-soldat se rend bien compte de la puissance de déduction du détective et se souvient de ce qu'il a enduré lors de cette campagne lorsqu'il s'est retrouvé dans une grotte où une créature d'un autre monde l'a touché à l'épaule droite avec un de ses tentacules. L'ex-soldat indique qu'il lui arrive de se réveiller en hurlant la nuit ; le détective lui indique qu'il lui arrive de ronfler. Ils décident d'emménager ensemble dans un appartement de Baker Street.

Ayant emménagé, l'ex-soldat a appris à respecter le besoin d'intimité du détective, se retirant de lui-même dans sa chambre quand le détective reçoit un client. Un matin alors qu'ils prennent leur petit-déjeuner ensemble, le détective informe son compagnon qu'ils vont recevoir un visiteur dans 3 minutes. Ayant demandé à la cuisinière de préparer des saucisses supplémentaires, le détective explique comment il est arrivé à cette conclusion. Ça ne rate pas : l'inspecteur Lestrade frappe à la porte exactement 3 minutes plus tard. Alors que Lestrade accepte bien volontiers le petit-déjeuner, le détective se livre à une série de déduction dont il a le secret et expose que Lestrade est venu demander leur aide pour une affaire impliquant une tête couronnée, et qu'ils doivent se rendre dans le quartier de Shoreditch pour constater les faits. Ça ne rate pas : il a raison sur toute la ligne. Cette fois-ci, il demande à l'ex-soldat de l'accompagner dans cette enquête, ce qu'il n'avait jamais fait auparavant. L'inspecteur Lestrade les emmène en fiacre jusqu'au lieu du crime.

Pour des raisons commerciales évidentes, l'éditeur Dark Horse s'est lancé de longue date dans la mise en chantier d'adaptation de nouvelles de Neil Gaiman : de The Facts in the Case of the Departure of Miss Finch par Michael Zulli à Forbidden Brides of the Faceless Slaves in the Secret House of the Night of Dread Desire par Shane Oakley. C'est le même éditeur qui a publié l'adaptation en comics du roman American Gods par P. Craig Russell et Scott Hampton. Cet éditeur a donc su établir une relation de confiance avec l'auteur concernant la qualité desdites adaptations. le lecteur remarque tout de suite le titre étrange de cette histoire extraite du recueil Miroirs et fumées (2006). Même s'il ne situe pas la référence immédiatement, il se rend compte qu'il lit une version personnelle d'une enquête de Sherlock Holmes, une variation sur la nouvelle Une étude en rouge (1887), celle qui contient la première apparition de Sherlock Holmes. Pour des raisons non explicitées, l'auteur préfère ne pas utiliser les noms de Sherlock Holmes et du docteur John Watson, mais il n'y a pas à s'y tromper. de plus, Gaiman s'est amusé à changer la couleur du sang, d'écarlate à émeraude. L'affiche de la première page ne laisse pas de place au doute : cette couleur verte correspond au fluide vital d'une créature venant du Dehors, appartenant à la mythologie des Grands Anciens imaginées par Howard Philips Lovecraft (1890-1937). Il a donc écrit un pastiche, ou plutôt à un hommage au héros de Sir Arthur Conan Doyle (1859-1930, un contemporain de Lovecraft), en le croisant avec une autre mythologie.

Ayant bien compris le principe de ce mélange, le lecteur découvre l'enquête sans en être dupe un seul instant. Il est assez amusant de découvrir à quoi Gaiman à assimilé ces grands anciens. le lecteur savoure l'utilisation des conventions des récits de Sherlock Holmes : sa capacité à se déguiser, son sens affûté de l'observation, ses capacités extraordinaires de déduction. Il ne manque que son addiction à la cocaïne et sa manie de torturer les cordes d'un violon. Afin de pouvoir raconter l'histoire qu'il souhaite, Gaiman a également aménagé l'histoire personnelle de Watson qui reste un vétéran de la seconde guerre d'Afghanistan (1879-1880) mais qui n'est un médecin, mais un ancien tireur d'élite dont la blessure a annihilé ses compétences en la matière. Se montrant respectueux, il a décidé de ne pas utiliser les noms de Sherlock Holmes et John Watson pour ses personnages. le lecteur se laisse donc emmener aux côtés du détective et de son assistant pour récolter les indices et trouver qui a assassiné la victime qui est effectivement de sang royal. Il sourit en relevant les références à l'époque victorienne et à la littérature comme les poudres du docteur Jekyll, aux bottes de Jack Talons-à-ressort, à la potion du docteur Victor Moreau pour réveiller la bête en vous, ou encore au procédé d'exsanguination d'un certain V. Tepes.

Rafael Albuquerque a acquis sa renommée en travaillant avec Scott Snyder, en particulier en illustrant sa série American Vampire. Il a depuis collaboré avec d'autres scénaristes en vue comme Mark Millar pour Huck. La couverture est évocatrice à souhait avec ce fluide vert, et ce personnage dont la tête est invisible qui manipule un coupe-chou évoquant la dextérité et le sadisme de Jack l'éventreur. La finition de l'ouvrage est impeccable avec de jolies têtes de chapitres et une mise en couleurs sophistiquées et maîtrisée de Dave Stewart. Les affiches bénéficient d'un lettrage imitant le style de l'époque, réalisé par le vétéran Todd Klein. le récit s'ouvre avec un dessin en pleine page représentant une rue londonienne dans laquelle circule le fiacre emmenant l'ex-soldat vers le détective. le lecteur peut voir les façades, à moitié mangée par les ténèbres, une coupole au loin, les lampadaires, les trottoirs et la chaussée. Il remarque que le dessinateur ne s'attarde pas trop sur les détails, que ce soit la texture de la chaussée, la hauteur des trottoirs ou encore l'exactitude des façades. Il se rend même compte que du fait de l'étroitesse de la chaussée, 2 fiacres ne peuvent pas s'y croiser. Or l'image montre clairement que c'est pourtant ce qui vient de se passer. de la même manière dans la page suivante, l'ex-soldat monte quelques marches pour accéder à la porte d'entrée de l'immeuble alors que la case juste au-dessus montre une entrée de plain-pied. Avec ces 2 premières pages, le lecteur a bien compris qu'il ne doit pas s'attendre à une reconstitution historique très détaillée en ce qui concerne les différents environnements. D'ailleurs, Rafael Albuquerque utilise les trucs et astuces classiques des comics mensuels pour s'économiser en ne dessinant pas les arrière-plans quand ce n'est pas strictement nécessaire, par exemple lors des conversations durant plus d'une case.

D'un côté, cette façon d'envisager la représentation d'un récit d'époque sans trop s'investir dans la reconstitution est pratique courant dans les comics. de l'autre côté, c'est un peu frustrant dans un projet de prestige, misant sur le nom du romancier pour attirer le lecteur. Rafael Albuquerque s'investit plus pour donner vie aux personnages, avec des visages aisément reconnaissables, des morphologies distinctes, et des expressions de visage très parlantes. Il fait des efforts de mise en scène pour éviter les enfilades de têtes en train de parler, même si elles représentent quand même une proportion significative des cases. Il sait s'y prendre mettre en scène les manifestations des Grands Anciens, de telle sort à en montrer assez pour faire apparaître leur caractère monstrueux, mais pas trop pour ne pas donner l'impression de grosses bestioles en caoutchouc. le lecteur constate par lui-même qu'Albuquerque est bien l'auteur de cette adaptation dans la mesure où il l'a pensée de manière visuelle, avec des mises en scène vivantes, plutôt que des scènes de dialogues parfois entrecoupées de déplacements. Cela donne une lecture rythmée et variée, sans impression statique ou trop appliquée à suivre et à respecter le texte à la lettre.

S'il est familier de la nouvelle d'Arthur Conan Doyle, le lecteur sourit en découvrant d'autres éléments très précis comme l'inscription Rache sur le mur, ou la signature d'un personnage avec les initiales S et M qui renvoient à Sebastian Moran, un personnage apparaissant dans une autre aventure de Sherlock Holmes. Il retrouve également la chute du récit, tout aussi bien amenée que dans la nouvelle, ayant conservé tout son impact. Il s'agit donc d'une lecture sympathique que ce soit une découverte ou non, que le lecteur soit familier de la nouvelle de L'étude en rouge, ou non. Cependant, le lecteur ne peut pas s'empêcher de regretter que Rafael Albuquerque ne se soit pas plus investit dans ses dessins pour réaliser une reconstitution historique qui ne soit pas en carton-pâte.
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