Il y aurait cette main de glace, comme une plante carnivore, qui vous attire vers elle. Il y aurait ce silence auquel vous aspirez, pour ne plus étouffer ces acouphènes aux ondes mortifères. Il y aurait tout ce blanc, infini, cette page entière à écrire, à réécrire, parce que vous auriez tout perdu. Puis le blanc aveuglant disparaîtrait, pour laisser place à une nuit totale.
En cette nuit polaire, Anna nous partage son journal de bord. Journaliste à France 3, elle embarque avec une équipe scientifique pour couvrir une expédition proche du cercle polaire. Elle part le bagage léger et l'esprit lourd. Son deuil encre chaque page qu'elle noircit. le deuil de sa fille, Zora, victime d'un accident domestique. Elle part avec des hommes et des femmes qui connaissent la violence ; celle de la nature, et celle des hommes. Elle part en gardant l'oeil tendu vers ce frère qui a choisi de faire voeu de silence, depuis son monastère. Elle lui raconte. Elle nous raconte. le beau et l'indicible. Les découvertes sublimes, et le gâchis. Elle se fond peu à peu à cette nature féroce, qui lui tend la main. Elle rencontre son ami Loup, et lui dédie une ode que je lui envie.
"Dehors, il fait froid. Un froid de loup, je suppose. Pas seulement parce que je le vois dans le cadre de la fenêtre qui fait face à mon couchage. Il reste là, le regard figé dans le silence et l'immensité vaporeuse de la toundra. Des sautes de vents blancs retroussent sa fourrure, mais il semble indifférent aux bourrasques glacées. Il tourne parfois la tête, brusquement, comme s'il quittait un songe, fixe la fenêtre, regarde derrière lui avant de reprendre sa pose. Il m'a conduite ici hier. Sans lui, je ne serais rien. Rien qu'un être inapte à la vie dans un désert froid. L'intelligence est partout en lui. Il est l'équilibre qui me manque."
Anna partage un journal de cette expérience, decouverte au fil de l'eau par son frère, quelques mois plus tard. Un frère auquel elle raconte, auquel elle confesse, et un frère qui commence une descente aux enfers à distance. Une descente silencieuse, qui vaut bien la tempête fracassante qui s'abat sur l'équipe.
L'expédition a effectivement tourné au chaos, emportant Yupik, le bateau vaillant, dans mille tourments.
"Avant le lever du soleil, des nuages sombres ont voilé le ciel et la mer s'est formée. Quatre heures ont plus tard, elle roulait des épaules comme un boxeur prêt à monter sur le ring. C'était effrayant de voir des montagnes liquides s'élever derrière nous et le vent les écrêter en arrachant des gerbes écumantes. Les déferlantes emportaient Yupik dans des surfs effrénés. Au moment où elles nous soulevaient, juste avant l'accélération, je retenais mon souffle. Les longues glissades nous menaient droit vers des gouffres mouvants. L'étrave en déchirait le fond dans un épouvantable fracas et semblait vouloir s'y perdre à jamais. J'étais fascinée et terrorisée à la fois. Á travers les hublots du roof, j'ai vu passer Loïc dans sa combinaison rouge. J'ai cru à un fantôme intrépide. Il était sorti pour mettre à la traîne une ancre flottante censée freiner le bateau et éviter qu'il ne chavire en plantant son étrave dans une de ces vagues monstrueuses. Quand il a quitté mon champ de vision, il ne restait que les mâts qui se couchaient à toucher l'eau, nus et fragiles comme des scions de bouleau, Yupik grinçait comme un moulin à vent. du fond des gouffres, les énormes vagues semblaient totalement infranchissables. Comment un si petit bateau pouvait affronter un tel déchaînement ?"
Ce roman renferme toute l'histoire de l'Humanité, du chaos qu'elle sème à celui qu'elle subit. Il renferme toute la beauté du Monde, pour peu que l'on veuille bien encore le regarder dans les yeux. Il renferme toute mon admiration pour Monsieur Loup, sa force et son regard doré. Il renferme toute la violence des hommes, emportant leurs hurlements et ceux de la planète, des hurlement comme celui de ce loup gravé sur la couverture de ce roman de
Patrice Gain, une couverture et un auteur qui entrent dans mon coeur par la très grande porte.