Citations sur Une maison à Bogotá (29)
J'ai déjà dit que j'avais peu d'amis, d'où la prédilection pour les bibliothèques. Les relations humaines n'ont jamais été mon fort.J'y ai toujours vu la graine de la décomposition. (..)
...je préférais partir, changer de ville et recommencer à zéro mais loin, toujours dans un lycée français, où l'on enseignait des langues que je ne parlais pas, ce qui créait une protection naturelle, une confortable palissade qui me permettait de baisser la garde, de ne pas me soucier de lier connaissance ou de me faire accepter, et le plus contradictoire est que cette attitude distante faisait parfois de moi une personnalité forte et attirante, que les autres voulaient soumettre ou avoir à leurs côtés. ( p.148)
Se voir, regarder sa propre vie depuis la fenêtre d'en face : c'est peut être à cela que servent les livres, à cela que sert l'art. Pour nous regarder depuis un endroit éloigné.
Ma tante,qui avait toujours été une fervente révolutionnaire, était heureuse de revenir au Mexique,un pays,selon elle,qui aime et protège véritablement ses artistes,"et cela parce qu'il a accompli une révolution,la première du XXe, qui malgré son ravalement institutionnel, a créé un type nouveau de société, si différente de la nôtre qui reste féodale, affirmait-elle,catholique et obscurantiste, comme ces sombres oeuvres théâtrales du pauvre Lorca,qui a bien fait de ne pas se réfugier en Colombie où il aurait été, là aussi,fusillé à coup sûr. "
(p.15)
Toute prohibition inspire le désir de la transgression, attire la main qui gratte et ouvre subrepticement ce qui devait rester caché. (p.83)
Ici,une digression s'impose.Par un incroyable concours de circonstances, ma tante fit la connaissance à Paris,dans les années 1950,de Gabriel Garcia Marquez.Elle était à ce moment là une jeune fille de dix-sept ans où dix-huit ans que son père avait envoyée prendre quelques mois de vacances en France pour y perfectionner son français ,et Garcia Marquez un jeune correspondant du journal El Espectador qui allait bientôt se retrouver sans travail. (...)
De ces années-là, en tout cas,date l'amour de ma tante pour les écrivains et l'idée que tous,sans exception, sont des êtres fragiles et des crève-la-faim.(p.78)
Je m’habituai à vivre ainsi, envoyant apparaître des chiffres rouges dans mes rêves, et je dois dire que j’étais le plus souvent heureux, même si à la fin de chaque mois sonnait l’alarme du découvert, surtout lorsque je découvrais que la totalité de mon salaire de suffisait pas à le couvrir. Je compris alors qu’être pauvre coûtait cher. On passe son temps à payer des intérêts et des pénalités, et à demander un prêt pour payer les intérêts, plus les intérêts d’un nouveau prêt pour acheter une voiture d’occasion qui tombe souvent en panne, et comme je n’avais pas d’assurance tous risques, la plus chère, les réparations étaient à mes frais. Être riche coûte réellement moins cher
A force d'entendre tant de langues lointaines, de sons provenant d'étranges boîtes vocales et d'essayer de les comprendre, s'est logé en moi l'amour de la philologie, une tentative de saisir ce mirage mouvant qu'est une langue vivante, un patrimoine dont la plupart des gens ne sont pas conscients et dont ils se servent tous les jours sans jamais y penser.Quand la langue devient-elle consciente ? Quand les mots sont une question de vie ou de mort.(...)
Mais quand les choses se compliquent et que l"orage se lève et rugit, chaque mot pèse, blesse, tue." Quand le langage ne donne pas la vie, il tue" , écrivait Viente Huidobro.(p.147)
Parfois je regarde ces meubles, qui me sont devenus si familiers, et je me demande ce qu'ils ont vu et entendu avant d'être ici, avec des propriétaires aux goûts différents, qui les avaient peut-être placés dans un salon raffiné, à côté de bronzes et de statues de marbre, ce que je ne ferais jamais, car de tels meubles sont pour moi associés aux livres, comme s'ils avaient besoin les uns des autres pour se valoriser.(p.144)
Pour ma tante,la politique était la maladie vénérienne du pays (**La Colombie ),elle me l'a souvent dit: On est dans un pays de paysans ignorants et de catholiques qui tuent à coups de machette ou de gourdin celui qui ne pense pas comme eux,et ils s'imaginent que c'est ça, faire le bien, être bon,dis-toi qu'ici tout est à faire,personne ne comprend la vraie grandeur de la politique."
(...) mais la chance était avec nous, car la maison était encore disponible. Au fond, il fallait s'y attendre, car il s'agit d'une maison qui ne correspond plus au mode de vie d'aujourd'hui. Aucune famille normale ne voudrait l'habiter : trop grande et trop vieille, avec des planchers en bois qui grincent, un escalier où les pas résonnent (...) sans parler des six pièces du haut, la remise et le vestibule, bref, une véritable Antiquité, une maison appartenant à une autre époque de l'histoire du pays, qui n'est plus adaptée au temps présent.
Un peu comme ma tante et moi.
Je trouvais cette maison si parfaite pour nous deux qu'en me rendant à l'agence immobilière j'avais le cœur battant. Qu'allais-je faire si elle était déjà vendue? Je sentais subitement que, plus qu'une maison, cette bâtisse était comme un ultime refuge possible (..)( p.17)