Il était une fois... une horrible princesse

La vie du commun des mortels est souvent triste, monotone, réglée comme du papier à musique. La plupart s’en contentent ; pour un petit nombre, c’est insupportable. Elle est de ceux-là. Elle revient vers moi, s’assied sur mon bureau. J’imagine un film de cul. Elle s’assied face à moi, ouvre ses cuisses et m’invite à lui bouffer la chatte. Je ferme les yeux, deux secondes, pour mieux sentir son parfum. Non, définitivement, je n’aime pas les femmes.

Poule pondeuse, elle tombait enceinte quand elle le voulait et elle n’avait jamais connu de début de grossesse difficile. Nausées, vomissements, elle ignorait ce que cela signifiait. Il y avait juste cette intense fatigue qui lui indiquait qu’elle couvait, qu’elle avait un « petit pain au four », comme disait sa grand-mère maternelle. Satisfaite, elle pointait en avant, comme des trophées, ses seins vite gonflés, durs, douloureux. Elle aimait garder son ventre plat pendant les trois premiers mois, renfermant son petit secret, puis le laisser éclore à partir du quatrième. Comme par magie, il prenait sa place et l’obligeait à ressortir ses vêtements de future maman. Elle était impatiente d’enfiler ses culottes géantes, parachutes, qui n’étaient pas sexy pour un sou, mais, ainsi parée, elle était femelle, future mère avant toute chose.

C’est vrai que ça me pèse, parfois, ce travail, ces situations qui se répètent, inlassablement. Toujours les mêmes, il n’y a que les noms qui changent. J’exagère. Encore. Je généralise. Encore. C’est si facile de généraliser. Pourtant, chaque personne est unique. Chaque allocataire de l’allocation minimum d’existence est unique. Il ne faut pas mettre les gens dans des boîtes, les y enfermer et les laisser y crever, même si c’est tentant. Mais c’est ça que le commun des mortels aime, les boîtes, les cases. Eux, ils sont comme ça, ils profitent du système, et moi, je suis comme ça, je ne profite pas du système.

Elle assimilait son corps en gestation à un temple qu’elle n’avait pas le droit de profaner avec des substances nuisibles pour le bébé. Mais elles lui manquaient. Qu’il était dur de s’en passer ! Non pas qu’elle soit une grosse fumeuse et une alcoolique invétérée. Non, elle aimait s’accorder de temps en temps une petite cigarette et, à l’occasion, siroter une boisson alcoolisée. Parfois, elle s’autorisait à tremper sa langue dans un verre de vin ; dès qu’elle en percevait le goût, elle se hâtait d’aller cracher un jet de salive vaguement teinté de rose.

Je ne suis qu’un noyau malvenu. Elle n’a plus besoin de moi. Elle m’expulse et je me retrouve près d’elle, écorchée vive, privée de ma peau ; ma peau, elle me l’a volée. Je la regarde, encore, pour la première fois, pour la dernière fois, vraiment de l’extérieur. Je me noie dans sa beauté miroitante, dans ses couleurs moirées et ses ondulations sensuelles. Elle danse pour moi, pour moi seule, moi qui, bientôt, ne serai plus.