Quand on quitte un endroit, pour toujours croit-on, on se détourne d'un état des choses et des gens en les vouant à leur perte, à leur finitude ou leur disparition, alors qu'ils demeurent en nous, dans une constance et une fidélité d'être solidaire de la nôtre, plus solides et durables que la brume de neige ou de pixels où nous les avons perdus.
J'ai le sentiment d'un doute. Au sujet de cette famille, du temps reculé où a pu se passer mon enfance, de cet endroit peuplé d'ombres convulsives auxquels la cogitation, la pensée, la spéculation ni même le rêve ne me donnent accès, sauf en ces instants subits où, face à la trouée de mon écran, j'entrevois des séquences de temps long qui se succèdent et se raccordent, pleines de grésillements, d'étincelles, de crépitements proches, des poches d'effroi s'ouvrent une à une sur des noirs plus profonds.
A force de trafiquer mon ordinateur, de circuler à tout va dans ses arborescences, ses couloirs occultes, d'y stationner des heures durant, j'ai dû détraquer le programme, l'infecter d'un virus personnel. A force, j'ai dû archiver ces images-là. Elles me sont propres. Elles me reviennent, modélisées par le système expert de ma mémoire lente.