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Critiques filtrées sur 3 étoiles  
Tout serait né d’un coup de foudre au XVIIIe entre un concept, celui d’intensité, et une réalité physique que l’on commence à étendre à la vie : l’électricité. Rencontre entre
« une image qui manquait d’idée et une idée qui manquait d’une image. » (p.66)

Vivre électrifié, vivre intensifié, telle serait l’impossible exigence actuelle. Et on la reconnait cette injonction à vivre toujours plus, dans une croissance et une variation infinies de sensations, d’expériences, de nouveautés, de frissons. Intensité extensive et insoutenable de la vie tandis l’expérience du monde se réduit, aboutissant à une civilisation burnoutée, celle à laquelle on trouve des échos ailleurs, dans les marais de la société de « la fatigue d’être soi » avec Ehrenberg, dans la tentation d’en disparaître (David Le Breton) ou de s’y soustraire (devenir-ingouvernable de la mouvance Comité invisible).

Le constat de Tristan Garcia, critique quant au rapport à l’intensité, résonne avec bien d’autres pensées qui concourent à saisir un air du temps irrespirable, gazeux et pouvant cependant tendre souvent, il le souligne, vers la réaction : nostalgie du temps d’avant, des hiérarchies célestes et terrestres, de l’authenticité, des territoires, haine de la technologie et tout ce à quoi peut conduire une pure résistance à l’hypermodernité, laissant les monstres de ses propres valeurs dans une ombre bien menaçante.

Alors Tristan Garcia tente sa chance d’en faire une nouvelle lecture qu’il voudrait moins négative, une voie sur la ligne d’éclair de la vie.

Refaisons avec Garcia l’histoire des désillusions de l’intensité.

Dans ce livre de cette collection « les grands mots » chez Autrement (où le très bon ouvrage de Pierre Zaoui sur La discrétion, ou La nuit de Michaël Foessel sont parus) est ainsi déployé l’histoire du concept d’intensité d’Aristote aux philosophes modernes (Nietzsche-Whitehead-Deleuze) en passant par la philosophie newtonnienne.

Cette archéologie du concept, déplaçant l’analyse du contemporain, des politiques, de la science actuelle pour nous déporter vers la constitution et la mutation de l’intensité est réjouissante, permettant de lire à nouveaux frais les couplages intensité/rémission chez Aristote ou la puissance de la notion de « force » chez Newton. Cela permet de comprendre ce qui se transforme dans le moment moderne du XVIIIe siècle.

On regrette pourtant que cette partie soit survolée, quand on attendrait, de Nietzsche à Deleuze, un déploiement conséquent, critique, contradictoire, des flux, des strictures, des vitalités, des coupures, de tout ce que ce courant de pensée a inventé et a su imposer au-delà du champ conceptuel, dans des manières de vivre, de s’agencer au monde – y compris dans des contresens, parfois créateurs, parfois réducteurs.

Quatre pages, même pour un essai dans une collection où l’on suppose le format limité (160 pages en moyenne), c’est un peu court tout de même pour déployer l’ensemble de ces systèmes.

Passons. Je préfère m’arrêter à la conclusion de l’auteur puisqu’au-delà du constat, Tristan Garcia veut aussi indiquer une voie hors de l’épuisement qui est l’horizon de toute intensité. Montrant l’aporie d’une intensité incapable d’éviter la routine, d’intensifier à l’infini ou de retrouver le choc des « premières fois », tout autant que l’aporie d’une sagesse visant à abolir les intensités (ataraxie, religions, transhumanisme et son rêve de devenir-robot), le projet de Tristan Garcia se lit dans une formulation essentiellement « éthique » d’une vie sur le fil :

« On ne se sent vraiment vivre qu’à l’épreuve d’une pensée qui résiste à la vie, et on ne se sent vraiment penser qu’à l’épreuve d’une vie qui résiste à la pensée. Soutenus par deux impulsions contraires, nous avons la chance, peut-être, de demeurer en équilibre sur la ligne de crête. » (p.196, je souligne)

Les difficultés et les beautés d’une telle propositions vont de pair. Une position paradoxale en première lecture que l’équilibre perpétuel sur le chemin périlleux entre le gouffre de l’intensivité et celui de la pensée réactionnaire.

Comment vivre « en équilibre », en tremblement dirait Glissant, dans l’incertain, dans la conscience faillible, dans la liberté absolue. Comment mener cette vie philosophique dans cette aporie vivante, cette contradiction maintenue pour demeurée vivante. L’essai est trop court à nouveau pour nous donner à penser ce que pourrait être véritablement cette éthique qui demanderait alors de déployer les mille plateaux de son intrication avec la vie sociale, politique, scientifique, imaginaire.

La solution de la non-binarité des choix, de la résistance créatrice, de l’auto-détermination des valeurs, des normes est celle que Garcia partage avec d’autres dans une éthique nécessairement difficile. Virtuose ? On pourrait autant le dire de celle de Lévinas. Toute éthique nous dépasse, nous excède, nous déborde, et doit le faire pour nous ouvrir à l’autre.

Garcia propose une neutralisation dynamique de l’intensité : le plus et le moins électrique permettant d’entretenir l’électricité de la vie dans sa complexité.

Ce cap ambivalent sinue comme l’éclair, ce n’est pas le « juste milieu » aristotélicien évoqué plus tôt dans l’essai, ce sont les ramifications de la foudre, les remontées de la terre vers le ciel, les courants chaotiques du monde, l’incertitude, l’extrême lumière faisant voir les ténèbres comme le disait Agamben pour illustrer le contemporain.

Cette « ligne de crête » promise par Tristan Garcia est ce chemin étroit et escarpé de montagne, où derrière une crête se profile une autre crête. Pas les sommets nietzschéens, mais l’aventure des montées et des descentes, de crête en crête. Une philosophie de la marche. Pas le chemin du funambule, « un corde sur l’abîme » « entre la bête et le surhumain », le chemin de montagne avec l’attention aux mauvaises chutes et aux orages.

Et pourquoi ne pas quitter aussi les crêtes pour les multiplier partout, s’aventurer dans la vallée, goûter le spectacle des forêts sur lesquelles tombe la nuit, où les ampoules grésillent, où les néons clignotent, où la résine libère ses sucs, où la vie, toute mêlée refuse à cette opération de jonglage entre les contraires au-dessus de l’abîme, car ils sont là, dans les rendez-vous ratés, dans la route qui zigzague, et qu’il faut arpenter, dans les lignes de failles partant dans tous les sens, n’allant nulle part, en haut, en bas, creusant la terre et bitume, le ciel et la vie, et que cela – littérature – suffit à vous faire une philosophie.
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La philo, n'en déplaise, c'est toujours un peu la même chose. A l'instar de la vie et de la mort, de ce qui fait vie et de ce qui fait mort. de ce qui fait vivre et mourir. [Nanana nanana Me saoule moi-même]

Ici, énième déclinaison. Au travers du concept d'intensité. Qui vous l'avez compris est à peu près synonyme de force de vie, ce qui donne sa force à la vie, et qui est recherchée et vécue par les individus contemporains.
L'auteur fait aussi un historique autour de ce qu'est la modernité, et en quoi elle est dépassée, laissant également planer la fin de ou la supplantation l'électrisation/électricité par l'électronique. Et laisse ainsi son livre ouvert aux conséquences encore inconnues du numér'-intelligence artifi'... J'oubliais de dire que pour lui modernité et [découverte puis sur-usage de l']électricité vont de pair. Cette électricité que non contents de voir intégrer les objets, les humains ont plaisir à ressentir inside, ils aiment à s'électriser les sens.

So, comme d'hab', c'est le chaud contre le froid.
Mais si on chauffe trop, on crève. La pulsion, vitale, nous attire, fait vibrer, nous secoue jusqu'à l'effondrement. Pensez burnout, pensez fatigue de soi...L'épuisement d'être le plus soi-même possible, cette exhortation (fatale) en cours.
Mais si on gèle, la vie s'arrête aussi.
Comment geler ? Par la pensée, la catégorisation, la réflexion, la science peut-être, la philo encore. Penser la vie. La cadrer dans un routine qui de toute façon sera surpassée par la vie débordante, par l'imprévisible, par le chaos (Tristan Garcia n'utilise pas le mot entropie, mais on pourrait). La routine est saine parce qu'elle est impossible bien longtemps.

Et la peur de l'ennui, tellement conne-temporaine, par perte d'intensité, conduisant à chercher du neuf, du surprenant, sans cesse, épuisement.
Enfin, comme chaque fois ou presque (ici bien), on finit par prôner une juste mesure entre la pensée (contrôlante et rassurante mais chiante) et la vie (incontrôlable et inquiétante mais passionnante), le juste milieu. Comme chaque fois. N'en déplaise.

Addenda :
* Je ne suis pas philosophe, je dis donc certainement un paquet de bêtises, je l'accorde aux puristes.
*Le texte n'est pas si simple qu'il n'y paraît ou selon les autres critiques que j'ai lues sur le site.
* le nom Tristan Garcia m'a évidemment souvent fait dériver vers Tristan Tzara, et le sergent Garcia. J'ai chaque fois dû (et réussi à) faire marcher ma machine à penser volontaire pour contrer ce stupide débordement. Car il est tout aussi vrai que les pensées nous assaillent aussi sans qu'on n'ait rien demandé, si ça c'est pas la vie ? Et que la vie c'est aussi actionner des mécanismes pour...
Non, allez, je suis en train de tout démonter les propos.
Putain...
Puuu










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L'auteur décortique le besoin perpétuel de chacun pour plus d'intensité. Cette course effreinée à plus grand, plus fort, plus émotionnel, plus sensationnel, plus intense... L'approche philosophique m'a néanmoins dépassée et j'ai perdu le fil. Pas assez accessible pour moi, j'ai abandonné la partie en cours de route.
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Et si la pomme de Newton et l'invention de l'électricité étaient à la source du mal de notre temps : celui qui consiste à rechercher à tout prix une vie intense, quitte à risquer l'effondrement ? La théorie de Tristan Garcia mêle avec brio philosophie et histoire des sciences. Elle montre comment l'appréhension rationnelle du monde a logiquement débouché sur une grande dépression, dont la recherche de l'intensité est censée nous sauver. Sauf que l'intensité, dès qu'on met le doigt dessus, a une fâcheuse tendance à disparaître…
La prose de Tristan Garcia se lit comme un roman, on est harponné par sa démonstration et il sait ménager son suspense, ne proposant une solution au mal qu'il diagnostique que dans les toutes dernières pages. Mais j'ai quand même été à plusieurs reprises saisie de doutes en le suivant dans ses explications.
Il nous décrit l'homme intense, libertin, romantique, rocker. Mais la femme intense n'est nulle part, et pour cause. Si « l'homme » générique des philosophes est juste un humain, cela signifie potentiellement qu'il n'y a pas de différence entre hommes et femmes. Mais ici j'ai plutôt l'impression que l'auteur passe à côté de ce qu'il aurait pu découvrir en n'ignorant pas l'existence de 50% de l'humanité. J'ai eu beau faire, ce postulat m'a irritée pendant toute ma lecture et laissé un désagréable goût d'inachevé. Comme si j'avais assisté à un tour de magie brillant et convaincant, tout en sachant qu'il existe en coulisse une mécanique qu'on se garde bien de nous montrer.
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