- Alors comme ça tu m'as fait veuf et cocu ! Très élégant, bravo ! Sais-tu que dans la rue, tout le monde s'en fout que tu sois morte ? Eh oui ! Veuf et cocu ! Je n'aime pas ce mot. Il ne convient pas à la situation. On dirait un mot d'enfant, comme pipi, caca. C'est pourtant un mot qui plaît, qui fait rire, sans doute à cause de "cu". Et au Petit Chez-Soi avec un mec qui s'appelait Martial ! C'est d'un goût ! Mais qu'est-ce qui t'a pris, nom de Dieu !
À l'accueil on lui demanda de patienter un instant, quelqu'un allait venir le chercher. Il prit place sur une des chaises de plastique moulé rouge alignées le long des murs vert hépatique. S'il devait être malade à l'hôpital, ce qui l'humilierait le plus, ce serait de se traîner dans les couloirs en pyjama-robe-de-chambre-pantoufles. Il en éprouvait la même répulsion que pour le jogging acrylique-baskets dénouées des jeunes, ou l'intolérable short-casquette américaine des vacanciers. "On a du temps à passer, faut se la jouer confort. L'éternité vue par Adidas."
"IL faut laisser faire la vie, elle se chargeait de tout et réalisait les souhaits au- delà de toute espérance ."
Elle faisait penser à une photo surexposée, à peine un contour, à se demander si elle pouvait projeter une ombre.
Il n'avait jamais baisé de blonde. Une fois il avait failli, pendant des vacances aussi, il devait avoir une vingtaine d'années, une Isabelle. Pour lui, l'érotisme, c'était noir, les poils, les porte-jarretelles, etc...comme le diable: noir. La découverte de cette touffe blonde sous la jupe parachute l'avait paralysé, comme s'il allait marcher sur une pelouse interdite.
Ce sont des gens comme toi qui sont dangereux, ceux qui lancent une pierre en l'air et qui détournent les yeux pour ne pas voir où elle retombe.
Jusqu'à présent il avait comblé cette carence par un digne silence, mais ce soir, il lui manquait cruellement ce mot, il se sentait illettré du coeur. Mais merde! il était trop vieux pour se mettre à disséquer le vieux pruneau qui battait si faiblement dans sa poitrine.
Il y a quelques années, le sirocco avait soufflé sur Paris. Il faisait très chaud. Une fine couche de sable rose recouvrait les voitures. Fabien était au même endroit sur un balcon. Il aurait voulu qu’il en tombe un mètre, comme la neige quand il était petit. Mais rien ne tenait ici, tout tournait en boue. Ça venait sans doute de la mauvaise qualité des rêves.
Il n'était pas incapable de vivre seul, il ne concevait la solitude qu'accompagné.
Combien sommes-nous, accoudés à nos fenêtres, une canette de bière à la main, à nous demander si ça peut encore nous arriver. Nous ne savons même plus ce que c'est que ça. La gloire ? La fortune ? L'amour ?