Cranford est le deuxième roman d'
Elizabeth Gaskell après
Mary Barton, qui n'a pas encore été traduit en français. C'est une petite ville imaginaire qui donne son titre au roman, une ville habitée presque exclusivement par des femmes, pour la plupart seules et vieillissantes.
Il se passe si peu de choses à
Cranford, ou plutôt tant de toutes petites choses, que j'ai passé un certain temps au début de ma lecture à me demander où
Elizabeth Gaskell voulait en venir, quel était précisément le sujet de son roman et même quels en étaient les personnages principaux.
Au coeur du roman se trouve la narratrice dont nous savons peu de choses. C'est une jeune fille qui vit avec son père dans une grande ville non loin de
Cranford, où elle a vécu précédemment. Fréquemment reçue chez ses amies, les soeurs Jenkyns, elle observe leur mode de vie avec une distance ironique et bienveillante. Parmi ses amies, c'est finalement la douce et effacée Matty qui devient petit à petit le personnage principal. Mais plus encore que Matty, c'est
Cranford qui tient la première place, la petite ville et sa bonne société sur le déclin.
A
Cranford, la principale occupation consiste à se recevoir les unes les autres, à prendre le thé, jouer aux cartes et bavarder. Ces dames vivent très modestement, mais emploient beaucoup d'énergie à dissimuler leur pauvreté. Elles n'ont plus autant de domestiques qu'avant, économisent les chandelles et n'ont souvent que du pain beurré à offrir à leurs invitées. Mais elles restent très attachées à leur statut social hérité d'un monde bientôt disparu. Et en toutes circonstances, elles s'efforcent de tenir leur rang, de respecter l'étiquette et les convenances.
Le récit de tous les menus faits qui rythment la vie des habitants de
Cranford pourrait être très ennuyeux, si tout cela n'était pas rapporté par une personne étrangère, qui observe tout ce petit monde avec une douce ironie. Après avoir partagé avec son amie Matty bien des soirées à la faible lueur d'une bougie, la jeune Mary connaît tous les secrets que Matty n'a même pas eu à lui confier. Il lui a suffi pour cela de lire avec elle de vieilles lettres destinées à la destruction et d'observer un léger trouble sur le visage de son amie, quand 30 ou 40 ans plus tard réapparaît un ancien prétendant.
On retrouve dans
Cranford la même société que dans
Les Confessions de Mr Harrison. Comme dans la nouvelle, il s'agit pour
Elizabeth Gaskell d'observer finement les comportements humains et d'ironiser sur les moeurs de la bonne société victorienne. Comme dans la nouvelle également, c'est une ironie bienveillante qu'
Elizabeth Gaskell porte sur ses personnages. Mais l'humour est ici peut-être encore plus léger, plus subtil, comme atténué par une douce mélancolie. Il manque sans doute à ce roman une intrigue principale pour relier toutes ces petites anecdotes qui en font presque un recueil de nouvelles. Mais cette forme convient bien au sujet d'
Elizabeth Gaskell. Elle écrit un monde sans héros et sans grands destins, de simples vies ordinaires qui s'achèvent sans bruit. J'aime beaucoup !
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