Cranford, petite ville du Nord de l'Angleterre, ses veuves et ses demoiselles, son château, et les mille et une petites histoires qui émaillent le quotidien, entorses aux convenances, amours contrariées ou deuils.
Dieu que j'aime les romancières anglaises du 19e siècle. le plus souvent on a l'impression de déguster un thé accompagné de patisseries. C'est à chaque roman un univers bruissant discrètement de scandales et de bonheurs et de malheurs plus ou moins grands qui se déploie, beaucoup plus complexe que ce les apparences pourraient laisser supposer, et bien loin de pouvoir être assimilés à des chroniques à l'eau de rose désuètes auxquelles ils sont souvent réduits.
Cranford ne fait pas exception. le petit monde de
Cranford, on le découvre par les yeux de Mary Smith, jeune femme qui vient souvent rendre visite à ses connaissances du lieu, surtout les demoiselles Jenkyns, Doroty et miss Matty, sa soeur cadette. L'une est aussi sêche et rigide que l'autre est tendre et compatissante, mais chacune à sa manière est attentive à son entourage. Autour d'elle veuves et demoiselles se pressent. Car
Cranford a une particularité: elle est peuplée presque uniquement de femmes vieillissantes. Mary va raconter au fil des saisons ses visites, et les événements qui vont les émailler: deuils, scandales, ruines, chamailleries, intrigues amoureuses hautes en couleur, lutte contre cette pauvreté qui ne dit pas son nom... Car ces dames, si elles sont de bonne famille et fermement attachées aux convenances, sont pauvres et s'emploient à le dissimuler sous le vernis du bon goût et de d'une économie domestique qui ne peut être qu'élégante.
De petites histoires en petites histoires,
Elizabeth Gaskell déploie un talent d'observation de la nature humaine étonnant, tout en conservant, toujours, une tendresse et un humour qui rendent ses personnages vivants et attachants. Elle sait à la perfection rendre ces petits riens du quotidien, ces ridicules qui en disent tellement sur l'humain et sur la manière dont une société fait face au changement. Car
Cranford doit faire face au progrès: les choses y changent. Il y a le chemin de fer, les oeuvres de M. Dickens, de nouvelles manières et une mode parfois surprenante... Face à toutes ces nouveautés, les standards moraux et les convenances vacillent, ce qui semblait immuable commence à disparaître. C'est un beau portriat d'un monde en train de mourir tout doucement, parfois ironique, souvent débordant d'humour. Il y a des scènes absoluments hilarantes: la vache habillée d'un pyama en flanelle, l'épisode du chat et de la botte. On sourit beaucoup, on rit parfois, mais on pleure aussi tant on s'est attaché aux personnages et à leurs petites manies et défauts.
Et puis, rien que le regard de ces dames sur la gent masculine vaut le détour! Ces gentlemen en prennent pour leur grade face à ces amazones à qui rien de fait peur, sauf, peut-être, un manquement aux convenances! Après tout, elles vivent depuis des années dans homme à la maison et ce n'est pas pour autant qu'elles ont été malheureuses! J'ai adoré notamment la réplique d'une de ces dames disant qu'elle sait parfaitement à quoi s'attendre avec les hommes, son père en ayant été un! Savoureux!
Dommage que les fils du récit soient un peu léger et qu'aucune véritable intrigue ne vienne donner plus de profondeur à ce qui aurait pu être un bijou. Sans fil conducteur, les rebondissements semblent parfois un peu exagérés, ou rapidement amenés et délaissés.
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