Après une enfance heureuse dans un petit presbytère de la campagne anglaise, Loïs Barclay se retrouve à 18 ans orpheline. Orpheline, et pauvre, et dans l'impossibilité d'épouser le garçon qu'elle aime, qui l'aime mais que ses parents destinent à un mariage plus prestigieux. Alors, conformément au dernier souhait de sa mère, espérant que les choses s'apaiseront durant son absence et que son amoureux viendra tôt ou tard la rechercher, elle part demander asile au dernier parent qui lui reste, un oncle maternel schismatique émigré depuis longtemps en Nouvelle Angleterre par conviction religieuse.
Mais si elle pouvait assez justement redouter le long voyage, ce qui l'attend de l'autre côté de l'océan est encore plus inquiétant. L'accueil est glacial, l'oncle se meurt, la tante médiocrement ravie de devoir accueillir cette étrangère. Son cousin et ses deux cousines, étrangement renfermés, exaltés, révèlent tous peu à peu de vagues signes de dérangement mental. La forêt tout autour d'eux est un piège angoissant, le domaine du Malin où rôdent ces Indiens qu'on dit sanguinaires, ennemis mortels de Dieu et de l'homme blanc. Et par dessus tout, la religion est une chape de plomb qui contrôle chaque geste, étouffe tous les rires, et condamne sans appel la tradition anglicane dans laquelle Loïs a été élevée.
Nous sommes en 1691, au royaume sauvage des plus ardents Puritains. Les pasteurs en sont les rois, et comme tous les rois se déchirent entre eux pour des principes abscons ou de bien terrestres jalousies. Bientôt, des jeunes filles vont tomber en cobnvulsions lors d'une séance de prières. Bientôt, la communauté entière, horrifiée, va s'écrier : "Sorcellerie !" Bientôt, il ne fera pas bon être étrangère, à demi hérétique et sans protection fiable dans la petite ville de Salem.
Avec sa pure et charmante héroïne livrée, pieds et poings liés, aux forces obscures de l'âme humaine,
la Sorcière de Salem s'inscrit droit dans l'héritage du roman gothique - mais un roman gothique revisité, épuré par une approche bien plus sobre, rationnalisé par le recours documenté à des événements historiques bien réels. On y perd (est-ce bien une perte ?) en grands effets dramatiques et en rebondissements imprévus, on y gagne en réalisme et en finesse psychologique, sans rien perdre de ce qui fait tout le sel du genre : l'ambiance oppressante, la noirceur des passions et le suspense.
Elizabeth Gaskell décrit de manière très habile les effets proprement maléfiques du repli sur soi, de l'austérité dogmatique, de l'ignorance et de la peur, qui finissent par faire tourner à l'aigre les plus évangéliques vertus. le Mal, ici, vient de la quête effrénée du Bien - ou plutôt de la terreur abjecte qu'inspire le démon. Et si Loïs est une héroïne un peu trop pure et passive pour attirer vraiment mon empathie, elle reste assez convaincante dans le contexte de l'époque et il est bien difficile de ne pas compatir finalement à son sort.
La sensibilité de tout cela est assez purement victorienne, mais avec plus de charme, de force et de finesse que je n'en avais trouvé à
Nord et Sud, ma précédente lecture de l'auteur.
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