Comme dans
Cranford et
Les Confessions de Mr Harrison, l'action de
Ma cousine Phillis se situe dans une petite ville imaginaire, cette fois baptisée Eltham. Il ne s'agit pourtant pas dans cette novella de la vie de vieilles demoiselles entre invitations à boire le thé et ragots sur le compte des voisins, mais plutôt de la vie de famille dans une ferme isolée, entre travaux de la ferme pour les messieurs, travaux d'aiguille pour les dames, et lecture pour celles et ceux qui en ont le goût.
La lecture et l'étude tiennent une place très importante dans la vie de plusieurs personnages de cette novella, mais ils n'ont pas tous le même rapport au savoir. le père de Paul est pragmatique. Il lit et étudie pour développer des inventions utiles. Il est très doué dans son domaine, mais un peu ridicule aussi, notamment quand il prend des notes sur les vaches alors qu'il découvre ces animaux (ce qui lui donne même un petit côté Bouvard et Pécuchet). Holdsworth, l'ingénieur, est également quelqu'un d'instruit, mais il tire son savoir au moins autant de ses voyages et d'une vie d'aventures que de l'étude studieuse. Quant à Phillis et son père, ils n'ont que les livres et les contacts avec de rares visiteurs pour parfaire leur instruction. Leur soif de savoir est sans limite et se porte vers des domaines parfaitement étrangers à Paul, même un peu effrayants pour lui, notamment l'étude des langues mortes (cette histoire de langues mortes est un peu le "running gag" de la nouvelle).
Phillis est l'héroïne romantique par excellence. Elle tombe éperdument amoureuse et voit sa santé décliner ou s'améliorer selon qu'elle se sent aimée ou mal aimée de l'élu de son coeur. Tout au long de la nouvelle, on a un peu peur pour elle, parce qu'on la sent capable de mourir d'amour. Ce qui la sauve, c'est qu'elle tient beaucoup à sa dignité. En bonne jeune victorienne, elle ne doit rien laisser paraître de ses sentiments ou de ses déceptions et ravale donc son chagrin en silence. Mais comme toute sa personne trahit ses sentiments, il n'y a finalement que sa mère, bien moins perspicace que sa servante, pour n'avoir pas percé à jour le secret de polichinelle de sa fille.
La construction de la nouvelle est habile. le récit commence avec l'histoire de Paul, le narrateur, bien avant sa rencontre avec Phillis. Aussi cette rencontre apparaît comme une étape dans sa vie. le lecteur est alors persuadé qu'il va y avoir une histoire d'amour entre les deux cousins. Mais il n'en est rien ! C'est exactement au milieu de la nouvelle qu'
Elizabeth Gaskell a placé des révélations importantes nous permettant cette fois de bien saisir la situation et d'anticiper la suite. Au début, chaque apparition de Phillis donnait à penser que Paul était en train de tomber amoureux. Mais Phillis et Paul sont bien trop différents. Paul trouve Phillis ravissante, bien que trop grande pour lui, mais il est conscient que ce qui les sépare plus que toute autre chose ce sont les langues mortes, ou plus sérieusement la soif de connaissances de Phillis. Paul ne va donc finalement pas être un acteur de l'histoire d'amour de Phillis mais un simple témoin, bienveillant et maladroit.
Décidément j'aime énormément
Elizabeth Gaskell, son humour fin et discret, son attention aux détails du quotidien, son empathie pour ses personnages dont elle se moque pourtant gentiment. J'ai fait des repérages dans les bibliothèques électroniques en ligne et trouvé plusieurs nouvelles qui ne sont pas disponibles en librairie et que l'on peut télécharger. Mais rien ne vaut, me semble-t-il, les traductions récentes de
Béatrice Vierne et ses toujours précieuses notes de bas de page. J'espère donc que L'Herne va continuer à publier l'intégralité de l'oeuvre d'
Elizabeth Gaskell qui mérite vraiment d'être beaucoup plus connue en France.
Lien :
http://uncahierbleu.wordpres..