Dans le cadre des Matchs de la rentrée littéraire, organisés par Price Minister, j'ai reçu
Pour seul cortège de
Laurent Gaudé. Je suis plus que ravie de mon choix !
« Échapper au marbre de l'Histoire », Alexandre le Grand y est-il parvenu ? C'est ce que nous conte
Laurent Gaudé dans cette fresque colorée, hypnotique et épuisante. Et si Alexandre n'échappera jamais à l'Histoire, peut-être à son marbre d'une certaine façon,
Laurent Gaudé, lui, continue ici de nourrir la légende…
Alexandre se meurt à la fin d'un banquet, ivre d'alcool et de danses. le monde est suspendu à son dernier souffle car après, qui va diriger l'Empire ? Tout ce qu'il a fédéré de son vivant est-il amené à se disloquer dans des guerres fratricides ?
Le second point de départ du livre est la mise en marche, de Babylone, du cortège funèbre qui doit ramener Alexandre à « sa mère Olympias » à Tyr ; Alexandre qui s'est toujours éloigné vers l'Est dans sa soif d'espaces et de conquêtes aurait-il souhaité ce retour à la terre qui l'a enfanté ? Est-ce là le destin d'un homme que de retourner, fatalement, à son point de départ ? Pas Alexandre qui était l'enfant du monde, surtout celui qu'il n'avait pas fini de conquérir, car il y en avait toujours un.
Dans ce cortège immense suivi (entre autres) par deux cent dix pleureuses, se tient Dryptéis (fille des siècles), belle-soeur d'Alexandre, héritière sans royaume et survivante de la dynastie Achéménide détruite par Alexandre. Elle s'en remet à la voix de son mari défunt, Héphaistion qui lui a soufflé de rester toujours auprès d'Alexandre pour ne pas mourir. Dryptéis s'était retirée dans un temple, à l'abri des fureurs du monde, ne voulant plus rien posséder puisque celui qui possède est amené à tout perdre. Elle veut que son fils qu'elle a réussi à cacher, soit un homme libre, sans la tutelle menaçante d'un quelconque pouvoir. « Tout se fissure dans l'Empire. Les reines meurent dans la fange, les nouveaux-nés sont étouffés. On déchire les alliances et aiguise les fers. Est-ce à cela qu'il lui sera désormais d'assister ? ». (p.93).
Dans le même temps, le messager fidèle d'Alexandre, Ericléops, parle au vent de l'Histoire en demandant d'une voix d'outre-tombe à celui-ci de « tenir », de ne pas mourir avant d'avoir fini sa conquête qui le menait vers l'Inde. Il galope vers Alexandre mais le cortège va changer de direction. Dryptéis, au fur et à mesure, s'impose comme la gardienne des dernières volontés du défunt. Je ne vous en dis pas plus sur l'histoire qui rebondit sans cesse au fur et à mesure que se mêlent les « voix » des vivants et des morts. Une réflexion sur le pouvoir, la conquête et la défaite, la succession mais aussi, une fois que les « fracas venus de la plaine » se sont tus, une fois l'homme débarrassé de ses derniers atours, qu'il soit prince ou gueux, qui reste avec lui pour respecter au plus près ses dernières volontés ? Qui s'occupe de son âme ? Mais il y est question également, grâce à Dryptéis du rôle tenu par les femmes dans cet univers de guerriers et à une époque où la soumission était la seule possibilité de respirer, voire d'exister. « le chariot d'Alexandre roule lentement mais il est fort, porté par des centaines de voix qui le clament, le chantent et gémissent. le monde entier les regarde passer en pensant qu'en ces heures où les empires vacillent, il est une chose qui reste solide, aussi solide que la puissance des montagnes, c'est le chant des femmes endeuillées. » (p. 108)
Entre réalité et fiction, dans cette mise en scène digne de la tragédie grecque,
Laurent Gaudé nous chahute, nous bouleverse aussi car sa plume est à la mesure de cette période historique, démesurée et furieuse. Certains le lui ont reproché, l'accusant d'exercices de style « éculés » ; personnellement, j'y ai vu une richesse et un travail d'écrivain hors du commun. Dans la foulée, j'ai lu «
le soleil des Scorta » pour lequel
Laurent Gaudé a obtenu le Goncourt en 2004. Certes, j'ai préféré ce dernier, certes là aussi, la plume est solaire, excessive parfois mais si belle ! A une époque où le minimalisme littéraire est souvent porté aux nues, j'apprécie quant à moi, les styles vibrants et enflammés même s'ils ont le revers de leur médaille.
Ma note : 18/20
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