... la vie se soucie peu de la volonté des hommes, ... elle décide à leur place, impose, écarte les chemins qu’on aurait voulu explorer et affaiblit ce qu’on croyait éternel.
L'histoire qu'il déploie le ramène à cette femme et il est en train de songer qu'au fond, il ne la connaît pas.
Le corps a été descendu avec précaution Il est rendu aux bras de la famille. Il y aura une histoire de cette mort que l'on se racontera - accident ou combat. Il y aura des questions, des récits répétés mille fois, pour répondre à la soif inextinguible des proches, qui veulent connaître chaque détail.
A cet instant, l'émotion le saisit : il comprend que durant sa vie de mère, elle a tout fait pour lui épargner les cris. Elle les a tordus en elle, les a fait taire, les a ravalés au fond de sa gorge pour ne pas les lui transmettre.
Les journées sont vastes et n'ont besoin d'aucun mot.
Il faut embarquer les morts et pendant tout le temps que dure la traversée, raconter ce que fut la vie du défunt. Le cimetière entend le récit.
Ici vivait Salina qui s'éloigne, laissant derrière elle ce fatras de vie, mélange de branches et de pierres qui n'accueillera plus que le vent. Il le contemple et il est surpris de constater qu'il n'éprouve aucune tristesse à ce départ. Le reste l'attend, et il est plus vaste, plus enivrant.
"Moi, Malaka, fils d'une femme restée longtemps à genoux, je dois raconter ces instants où le corps de ma mère et celui de Saro sont l'un contre l'autre, l'un dans l'autre, où l'un pèse sur l'autre et le blesse et l'écrase, ces instants où un homme prend la femme qu'il a sous lui avec voracité, pour le simple plaisir non pas de posséder -car Saro a toujours su qu'il ne la posséderait jamais- mais d'endommager. Ces instants où , à défaut de consentir, le corps de Salina doit payer, porter la marque des coups, et se soumettre."
Il n'y a ni plaisir ni douleur. Elle essaie de ne plus être dans son corps.
Le jour est lent et la chaleur épaisse comme un nuage de poussière. Les femmes autour d'elle s'affairent, nerveuses comme des oiseaux aux premières lueurs du jour.