Et seulement alors, comme si elles avaient attendu de connaître son nom, les hyènes repartent, laissant ce petit bout de chair aux hommes et retournant dans leur monde de pierres sèches et de nuits inquiètes où les charognes sont des trésors et les rires, des hurlements.
Je parle aux cailloux. Certaines nuits, je pousse de grands cris pour faire danser les étoiles.
Elle sait, elle, que la vie se soucie peu de la volonté des hommes, qu'elle décide à leur place, impose, écarte les chemins qu'on aurait voulu explorer et affaiblit ce qu'on croyait éternel.
Les hommes passent les dernières heures de la journée à se reposer, à manger et à finir de raconter la geste de la morte à ceux qui étaient trop loin pour en entendre le récit.
Moi, Malaka, fils élevé dans le désert par une mère qui parlait aux pierres, je vais raconter Salina, la femme aux trois exils. Je vais dire ma mère qui gît là, au fond de la barque, et le monde qui apparaîtra sera fait de poussière et de cris. À l’époque où le monde a accueilli sa vie, il y avait des soleils qui faisaient saigner la peau et un désir de vengeance sauvage.
D’abord, il y a ce jour des origines, lointain, où dans la chaleur du désert, après une longue attente, le cavalier arrive enfin. A dix pas de Sissoko Djimba, le chef du village, il s’arrête. Dans le creux de son bras gauche, tout le monde peut maintenant voir distinctement qu’il porte un nourrisson dans ses langes. Et les cris de l’enfant résonnent. Il n’a pas cessé de crier. C’est miracle, même, qu’il n’ait pas fini de sombrer dans un épuisement du corps. Le silence dure. Puis, lentement, le cavalier fait quelques pas jusqu’à être à mi-chemin entre Sissoko et sa monture, et dépose au sol le paquet de linge qui pleure encore, puis, sans attendre de voir ce qu’il se passe, sans dire un mot lentement, il repart, rebroussant chemin, laissant derrière lui, pour la première fois depuis des jours, des semaines peut-être, les cris de l’enfant qu’il vient d’abandonner.
Salina, la femme aux trois exils, celle qui a eu un fils haï, un fils colère et un fils pour tout racheté.
(p.147)
Regarde moi. Regarde bien mon visage. Est-ce qu'il te semble que c'est là le visage de la vie ?
P. 36
Ils sont loin de tout maintenant. Le monde des hommes est derrière eux. Ils sont au-dessus des nuages. Sa mère est comme une extension de lui sur son dos. Il s’est tellement habitué à son poids, à son souffle si faible, qu’il n’y prête plus attention. C’est pour cela qu’il sursaute le jour où elle parle à nouveau. Elle ne l’a pas fait depuis si longtemps. « Je ne connaitrai pas le lieu de ma mort… » dit-elle.
[...] les hyènes repartent, laissant ce petit bout de chair aux hommes et retournant dans leur monde de pierres sèches et de nuits inquiètent où les charognes sont des trésors et les rires, des hurlements.