Citations sur Le noir est ma couleur, tome 1 : Le pari (52)
Il était couvert de sang, les yeux hallucinés, les cheveux en bataille, le teint plus pâle encore que celui de mon frère. Ses jambes le soutenaient à peine. Les ongles de sa main droite étaient plantés dans son biceps gauche. –Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? balbutia Alexandre avant de s’effondrer. Décidément, on ne pouvait plus compter sur la cavalerie.
J’ouvre la bouche pour répliquer, mais elle est déjà partie pour rejoindre son amie-porte-manteau qui lui fait des grands signes. Je reste seul, la rage au cœur, à dissimuler mon agacement sous un sourire de façade.
Sans vouloir te vexer, je ne pense pas qu’on ait grand-chose en commun. Ouais, ben sans vouloir te vexer, t’es vraiment une connasse.
Comment peut-elle se permettre de me juger comme ça, d’un seul coup d’ qu’est-ce qu’elle veut dire par là ? Que je ne suis pas assez bien pour elle? Pas assez cultivé? Pas assez bon élève? Pas assez riche?
C’est la première fois qu’une fille m’envoie promener, et je me sens soudain conscient du regard des autres.
-Tu as un plan ?
-Ouais. Je l'aborde, elle tombe sous le charme, je l'embrasse, je la jette, elle souffre.
Azur hoche la tête avec une admiration feinte.
-Les plans les plus simples sont les meilleurs.
Bon courage, beau gosse.
- Psst, murmura Alexandre.
Je décidai de l'ignorer.
- Psst, répéta-t-il.
A la troisième fois, je finis par me retourner. Il se tenait de biais, un sourire implorant aux lèvres.
- Quoi? soufflai-je.
- La réponse à la question deux, c'est quoi?
Alors là, c'était le pompom. Il s'attendait vraiment à ce que je lui donne les réponses? Qu'est-ce qu'il croyait, que j'étais sensible à son regard craquant? S'il voulait progresser, il n'avait qu'à travailler, comme moi, au lieu de passer son temps à... à draguer les filles, faire baver Eloïse, ou des trucs comme ça.
Je me détournai et cachai ostensiblement la feuille avec mon coude. Je continuai à écrire les réponses. J'avais un peu de mal à me concentrer. Je détestais les conflits. Comment allait-il réagir? Est-ce qu'il abandonnerait si facilement? Et pourquoi je m'en souciais, après tout? Tricher au premier rang , c'était de l'inconscience. Je refusais de mettre en danger ma note pour un abruti sans cervelle.
- Pssst, reprit Alexandre une minute plus tard.
- Quoi encore? grinçai-je en levant les yeux.
Il arborait toujours son sourire amusé, mais son majeur s'était déplié en un magnifique doigt d'honneur.
- T'es vraiment une chieuse.
Elle me regarde, les yeux écarquillés, incapable de bouger ni de prononcer le moindre son. Elle doit être immobilisée par des liens invisibles ou une connerie de ce genre. On n'est plus à ça près.
Je suis presque déçu. Dans un hentai, j'aurais vu les tentacules.
- Qu'est-ce que tu lui trouves ? murmurai-je, la bouche en coin.
Éloïse roula des yeux, amusée.
- Tu plaisantes, j'espère ? Allô, on parle d'Alexandre, là. Le mec que toutes les filles s'arrachent. T'as pas vu comme il est craquant ? Je lui déchirerais bien son tee-shirt, là, tout de suite, maintenant. T'imagines les abdos qu'il cache là-dessous ?
Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois, ajouta doucement ma mère. Mais les aveugles rêveraient de leur crever un oeil.
- L'ennui, c'est que c'est le genre à pas coucher avant le mariage, grommelle Fred. Elle vit pour les études, c'est évident. Je parie qu'elle fantasme sur Zola, là, La comédie humaine.
- Balzac, corrigé-je machinalement.
- C'est pareil, un vieux barbu mort depuis des années. C'est pas sain moi je dis.
Romain
J'ai passé assez de temps sur un ring et dans la rue pour reconnaître le choc mat d'un poing contre la chair
― Un Spectre ? répéta-t-il, incrédule. Tu veux dire un fantôme ?
― Non, un Spectre lumineux. Un Spectre chromatique. Une ribambelle de couleurs.
Il se balança sur sa chaise, le sourire aux lèvres.
― Ah ouais. Un arc-en-ciel, quoi.
― Non, un Spectre.
― Ouais, mais c’est comme un arc-en-ciel.
― Un Spectre, insistai-je.
― Comme dans les Bisounours.
― Un Spectre ! grondai-je.
Je mourais d’envie de le gifler.