Mais ce fractionnement des dépouilles sacrées en pièces détachées répond peut-être à cet autre phénomène de morcellement qui se passe dans le corps des vivants endeuillés : chaque être aimé, en disparaissant, ravit un peu de chair, un peu de sang, à ceux qui restent sur la terre, tremblant de froid et de fadeur dans le crachin continu de l'absence.
Les rêves sont faits pour entrer dans la réalité, en s'y engouffrant avec brutalité, si besoin est. Ils sont faits pour y réinsuffler de l'énergie, de la lumière, de l'inédit, quand elle s'embourbe dans la médiocrité, dans la laideur et la bêtise.
Il voit le ciel se déflagrer, se rompre comme une digue et des torrents de lave noire, de météorites rutilants, d'éclairs blanc soufré jaillir entre les brèches. L'orchestre fou joue du feu à outrance.
Il voit des humains et des bêtes se transmuer en torches vives, d'autres se fondre à l'asphalte liquéfié qui clapote dans les rues éventrées, d'autres encore être déchiquetés.
Il voit des arbres s'élancer à l'oblique, énormes javelots échevelés de flammes qui se fichent dans les façades des maisons tandis que giclent les vitres, volent les cheminées, les tuiles, les poutres.
Il chemine vers Comala, vers nulle part, vers lui-même. Il avance à pas zigzagants, forcenés. Il est un pélerin de colère venu tordre le cou au spectre paternel, et aussi bien à l'enfant niais qu'il fut et qui aimait ce père. Mais le fantôme se dérobe sans cesse, il le nargue, l'épuise, et sa colère s'acère et s'épure à mesure. Son ombre s'allonge, se fonce.
Ecrire, c'est descendre dans la fosse du souffleur pour apprendre à écouter la langue respirer là où elle se tait, entre les mots, autour des mots, parfois au coeur des mots.
Ainsi va Magnus dans sa solitude du Morvan, nouant des amitiés posthumes auprés de tombeaux, des amitiés muettes avec tel ou tel arbre, tel boeuf ou telle brebis croisés au bord d'un pré, des amitiés fugaces avec des nuages, des chuchotements de sources, des odeurs de terre, de vent. Des amitiés à fleur d'instant.
"L'énigme de sa naissance le tourmente désormais moins que la nuit sans mesure ni fin où son amour a fait naufrage."