J'ai furtivement passé la main sur mes yeux humides, refermé l'album d'un geste sec. Il y a des fantômes que l'on ne partage pas, même avec ceux qu'on aime.
(p.142)
A l'hôpital, pendant les quelques heures pénibles passées seule sous assistance respiratoire, en attendant Christophe que l'interne avait absolument voulu prévenir, je me disais qu'il aurait été facile de se laisser glisser, de cesser de résister. Pas d'enfant, plus de mari, une mère distante, un père épuisé, peu d'attaches. Partir vite, laisser se perdre une empreinte sur le monde dangereusement précaire, au milieu de l'indifférence globalisée et des réseaux sociaux auxquels je n'avais pas pris la peine d'appartenir.
(p. 172)
- oui, évidemment pour toi, les années 70 signifient libération sexuelle, pilule, et tout ça . Mais pour l'extrême gauche, la révolution, c'était du sérieux. Je te prie de croire qu'on ne brillait pas par notre sens de l'humour. En conséquence, l'amour, la musique, les amis, le plaisir étaient classés dans la catégorie "haïssables loisirs bourgeois". Le jour, on travaillait pour financer la cause, la nuit, on se réunissait pour faire avancer la cause. En fait, la frustration des mecs était patente. Les "frères" qui laissaient leurs mains fraternelles se balader dans les cages d'escalier à la sortie des "réus", on connaissait par coeur.
Je ne veux plus être la fille de personne, rester apatride de leur mémoire, tous ces gens étaient fous, malades et destructeurs, et tant pis s'ils sont morts d'eux-mêmes, qu'ils disparaissent, je ne veux plus rien savoir, rien du tout.
(p. 171)
Du pardon furieux je t'imposerai la grâce
Je serai le chemin et la chair qui t'embrasse
La carte de ta peau sera mon héritage
Et j'en consumerai l'absolution sauvage.
p. 41 "Je ne dois plus tomber. Mon corps est parsemé d'ecchymoses. Carrelage de la cuisine, plan de travail. Meubles. Placards. Mes bras et mes hanches ont fait connaissance avec tous les angles aigus de la maison."
...mes souvenirs marchaient sur du verre. On aurait dit qu'un sang d'une autre couleur, noir comme l'erreur, maculait la mémoire.
Ce pan de ma vie n'a pas vieilli, ne s'est pas décoloré. Il m'a été arraché à vif, ce qui est bien différent.
p. 32 avec les années qui passent, la nécessité de la lenteur m’apparait avec une certaine évidence.
On ne devrait jamais confier à un être les pleins pouvoirs sur nos vies.