Un autre aspect remarquable est que le châtiment encouru par les juifs pour avoir méconnu la qualité de Jésus fut infligé par l’Empire romain : c’est Titus, alors fils de l’empereur Vespasien, qui détruisit le Temple de Jérusalem en 70 après Jésus-Christ. C’est celui qui fut l’instrument de Dieu à ce moment capital pour l’Occident traditionnel. Sans doute ne pouvait-il avoir lui-même une idée de la raison véritable pour laquelle le peuple juif était si gravement sanctionné. Néanmoins, il ne faudrait pas tirer de cette ignorance des conclusions trop hâtives car, d’un part, Titus avait conscience du caractère divin de l’acte qu’il accomplissait : « Lorsque Titus eut pris Solyme (Jérusalem), que tout était plein de cadavres et que les nations voisines lui apportaient des couronnes, il se déclara indigne de pareils honneurs, car cet exploit n’était pas son œuvre ; il n’avait fait que prêter son bras à la colère de la divinité »(1) ; d’autres part, l’échec de la mission du Christ en tant que rasûl « envoyé aux Enfants d’Israël » allait s’accompagner d’une adaptation de son message qui en sauvegarderait l’universalité, mais qui cesserait de s’appuyer – et pour cause ! – sur la loi judaïque : ce fut le Christianisme, dont Rome devint le centre visible, siège de son autorité spirituelle et de sa souveraineté temporelle.
Ce n’est donc pas uniquement le judaïsme qui changeait de nature, mais aussi l’Empire romain dont Titus était le représentant. Il y eut là, de toute évidence, un plan divin dont la finalité pouvait échapper aux individualités choisis pour le mettre en œuvre. Ses effets se sont prolongés jusqu’à nos jours.
(1) Philostrate, Vie d’Appolonius de Tyane, VI-29, cité par Fau., op. cit., p. 94. (pp. 37-38)