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EAN : 9780226293479
Chicago University of Chicago Press (07/02/1995)
5/5   1 notes
Résumé :
In the twentieth century, we often think of Nietzsche, nihilism, and the death of God as inextricably connected. But, in this pathbreaking work, Michael Gillespie argues that Nietzsche, in fact, misunderstood nihilism, and that his misunderstanding has misled nearly all succeeding thought about the subject.
Reconstructing nihilism's intellectual and spiritual origins before it was given its determinitive definition by Nietzsche, Gillespie focuses on the cruci... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Livre monumental qui coupe l'étude du nihilisme en deux: il y a un avant et un après ce livre.

Tristement ignoré dans le monde francophone car aucune traduction de disponible. Voici donc une recension complète, rédigée par mes soins, pour essayer d'encourager les curieux et passionés de la discipline à se plonger dans l'ouvrage et à découvrir Gillespie. Un de mes auteurs favoris et un géant, injustement ignoré, de la philosophie contemporaine.

Depuis Nietzsche, la naissance du nihilisme est traditionnellement associée à la Révolution française, à la mort de Dieu et à la fin de la transcendance. C'est, par exemple, la vision reprise par le philosophe français Jean-François Mattéi.

C'est également la thèse défendue par Jean-Pierre Faye et Michèle Cohen-Halimi qui, dans leur ouvrage « L'histoire cachée du nihilisme », proposent une généalogie du nihilisme. Si ce projet ressemble beaucoup à celui entrepris par M. A. Gillespie dans son « Nihilism before Nietzsche », celui-ci s'inscrit en porte à faux avec la vision nietzschéenne reprise par ces deux auteurs puisque : « (…) Nietzsche misunderstood nihilism and (…) this misunderstanding has misled nearly all succeeding thought about nihilism. « (…) Nietzsche a mal compris le nihilisme et (…) cette incompréhension a induit en erreur toutes les réflexions relatives au nihilisme qui s'en sont suivies. » (Préface, p. VII)

Ainsi, pour le philosophe politique américain, le nihilisme n'est pas tant la conséquence de la mort de Dieu que d'une certaine conception du Dieu chrétien qui naît avec l'école du nominalisme.

--> L'effrayant Dieu nominaliste et la réponse cartésienne : la citadelle de la raison

Réalisant une synthèse entre la philosophie païenne et la révélation chrétienne, la scolastique postulait une union entre la nature et la logique, permettant ainsi d'accéder à une compréhension de l'essence de toute chose grâce à la logique syllogistique. Cette vision entraînait toutefois une négligence de la révélation, puisqu'une étude de la nature pouvait suffire pour atteindre une compréhension satisfaisante du divin. de plus, la toute-puissance divine se voyait diminuée puisque Dieu lui-même se retrouvait soumis aux règles de l'univers qu'il avait pourtant créé.

Le nominalisme, dont Guillaume d'Ockham est la figure de proue, naît contre cette vision du divin à laquelle il oppose la vision d'un Dieu absolu, affranchi de toutes contraintes. Dieu peut ainsi modifier le passé, car le concept de temps humain ne s'applique tout simplement pas à lui. Même les règles de la logique — à part le principe de non-contradiction — ne peuvent limiter sa volonté. Dieu devient donc aussi tout puissant que capricieux, puisqu'il peut à tout moment bouleverser un monde qu'il aurait pu tout aussi bien vouloir différent qu'il ne l'est, et ce, sans que cela ne nous soit compréhensible.

Cette vision de la volonté divine comme profondément insondable a des conséquences terribles. En effet, le monde autour de nous n'ayant plus aucune forme de nécessité, il n'est plus que contingent et toujours sujet aux caprices divins. Aussi, comment former des connaissances qui puissent être certaines sur lesquelles fonder la science ? de même, le Dieu du nominalisme est un être effrayant, car la morale n'a désormais plus d'autres fondements que la volonté du divin qui aurait tout aussi bien pu désirer d'autres règles morales.

Dominante dans toute l'Europe, c'est contre cette conception terrifiante d'un Dieu capricieux rendant la connaissance humaine incertaine et illusoire que la construction cartésienne, qui devait définir toute la modernité, se dresse.
Descartes relève le défi nominaliste et propose de créer un système de connaissances basé sur des certitudes telles qu'elles résisteraient même à l'hypothèse de l'existence d'un Dieu absolu et capricieux. Pour ce faire, Descartes construit une forteresse de la raison au sein de laquelle même le Dieu absolu du nominalisme ne pourrait entrer. Au sein de ce bastion établi par le je pense donc je suis, même Dieu n'est plus capable de réintroduire le doute que Descartes a chassé. Dieu ne disparaît pas encore de la construction cartésienne, et c'est sur l'hypothèse d'un Dieu axiologiquement bon qu'il peut affirmer l'existence du monde qui nous entoure — au-delà donc des limites étroites du bastion du je pense donc je suis.
Sans s'en apercevoir, Descartes construisit sa forteresse sur les fondations noires d'une volonté humaine, elle aussi, définie comme absolue : « Underlying the Cartesian project in a way that never becomes entirely explicit is the possibility that man is or at least can become God. » « Inhérente au projet cartésien, d'une manière qui ne devient jamais entièrement explicite, la possibilité que l'homme soit ou du moins soit capable de devenir Dieu existe. » (p. 63)

Restées cachées aux penseurs du XVIIe et XVIIIe, les fondations obscures du cartésianisme deviendront par trop évidentes à ceux du XIXe et XXe siècle (p. 63).

--> Naissance et extension du nihilisme

Avec Hume, la citadelle cartésienne avait déjà subi un premier et puissant assaut, puisqu'il était alors devenu monnaie courante de ne considérer les idées obtenues par la méthode introspective cartésienne que comme de simples habitudes mentales. Ainsi, l'affirmation que le soleil se lèvera demain est l'observation d'une régularité qui n'a pas valeur de vérité absolue — quelque chose d'inaccessible à l'entendement humain —, mais une observation empirique sans valeur de nécessité.

Une brèche sérieuse, donc, mais que Kant parviendra à colmater en divisant le monde entre nouménal et phénoménal. Pour le philosophe allemand, la connaissance humaine s'arrête à la lisière du phénomène, ne pouvant jamais s'aventurer dans l'au-delà des noumènes. Correctes, les observations de Hume sur la structure de la psyché humaine ne rendent pas la connaissance impossible ; elles en en fixent simplement les frontières. Kant prévient ses successeurs : quiconque chercherait à quitter l'ilot de certitude établi sur la connaissance du phénoménal finirait par sombrer dans la nuit du nouménal, par définition inaccessible à l'esprit humain. C'est précisément ce qu'entreprit un de ses disciples : Fichte.

La division du monde en deux sphères séparées de manière aussi étanche fut un traumatisme pour la pensée occidentale qui chercha à combler la brèche. C'est dans ce contexte-là qu'il faut comprendre la philosophie de Fichte. Pour parvenir à son objectif, Fichte renonce au rationalisme des Lumières et lui substitue un subjectivisme absolu qui fait dériver la raison humaine d'une volonté individuelle définie, elle aussi, comme absolue (p. 99).

La construction Fichtéenne marque un tournant décisif, car, avec lui, le Je absolu devient l'antinomie entre le moi et le non–moi, le moi cherchant en permanence à retrouver l'unité perdue depuis Kant en éradiquant, purement et simplement, le non-moi. Si cette éradication est censée ne jamais être atteinte, il n'empêche que c'est avec Fichte que naît, à proprement parler, le nihilisme moderne, car : « It was the idea of an absolute will that gave birth to the idea of nihilism, for if the I is everything, then (…) God is nothing. Nihilism (…) was thus not the results of the degeneration of Man and his concomitant inability to sustain a God. It was rather the consequences of the assertion of an absolute human will that renders God superfluous and thus for all intents and purposes, dead. » (p. 256) « C'est l'idée d'une volonté absolue qui donna naissance au nihilisme, car, si le Je est tout, alors (…) Dieu n'est rien. le nihilisme (…) n'était donc pas le résultat de la dégénérescence de l'Homme et de son incapacité concomitante à croire en Dieu. C'était plutôt la conséquence de l'affirmation d'une volonté humaine absolue qui rendait Dieu superflu et donc, pour ainsi dire, mort. »

L'influence fichtéenne sur le développement de la philosophie postkantienne est passée inaperçue. Pourtant, l'auteur aura une influence décisive sur des penseurs comme Hegel, Goethe et Schopenhauer. de plus, les premiers romantiques et idéalistes allemands seront ses élèves à l'université de Iéna.

Tous ne seront pas des suiveurs de Fichte mais, et cela est remarquable, ce sont précisément ses adversaires qui, croyant lutter contre le nihilisme, accélèreront le plus son triomphe. Ainsi, Goethe ne s'opposera à la tentation du démoniaque vanté par les romantiques que pour mieux succomber à sa beauté poétique ainsi qu'à sa vigueur créatrice que, au final, il ne parvient pas à condamner. de même, c'est à travers la philosophie hégélienne — pourtant développée en réaction au nihilisme, à Fichte et au kantisme — et son influence sur les nihilistes russes que le nihilisme deviendra une véritable force politique capable de transformer le monde.

-->Nietzsche et l'effondrement de la citadelle de la raison

Mais il faudra attendre Nietzsche pour que l'assaut final soit lancé sur les dernières défenses du bastion de la raison. Pour le comprendre, il faut d'abord brièvement esquisser les idées de Schopenhauer, car c'est la réception que Nietzsche en fit qui, d'après M. A. Gillespie, explique son erreur, ainsi que le triomphe final du nihilisme.

Contrairement aux idées reçues, Fichte n'était pas un philosophe de la conscience. En réalité, il est le premier à regarder au niveau préconscient qu'il identifie avec le vouloir du je absolu. Schopenhauer reprend l'idée d'une volonté absolue. Mais à la différence de Fichte qui voyait dans la quête inextinguible de réconciliation entre le moi et le non-moi une quête spirituelle et noble, Schopenhauer y voit un phénomène métaphysique, source des souffrances d'un homme qui, constamment soumis au caprice d'une volonté qu'il ne peut maîtriser, est voué au malheur et à la souffrance. Nietzsche reprendra à son tour le concept de volonté à Schopenhauer qu'il « tournera sur sa tête ». Ce faisant, sans s'en rendre compte, Nietzsche a retrouvé Fichte et la source de la volonté absolue redevient le je absolu (p. 249).

Avec Nietzsche, le Dieu terrifiant et absolu du nominalisme fait son retour sous les traits trompeurs du Dionysiaque. L'homme se voit doté des atours et de la volonté absolue qui définissaient l'ancien Dieu du nominalisme. À la base de la raison moderne, le concept de volonté absolue que, précisément, la modernité avait été construite pour juguler revient et balaie les restes de la forteresse cartésienne :
« At the end of modernity among the twilit ruins of the citadel of reason, the victor in the great battle for control of the Cartesian fortress sits atop a pile of rubble, crowned with the leaves of the vine, singing the song of primal unity and primal contradiction. (…) He bears a surprising resemblance to the omnipotent God of Christianity, his supposed enemy and opponent. Like that God, he is beyond reason, beyond nature, and beyond good and evil. He calls into question all that is stable and certain. He is a god of terror and of joy. He is everything's creator, everything's destroyer, and everything's redeemer. » (p. 255) « À la fin de la modernité, dans la pénombre des ruines de la citadelle de la raison, le vainqueur de la grande bataille pour le contrôle de la forteresse cartésienne est assis au sommet d'une pile de ruines, couronné de feuilles de vigne et entonnant le chant de l'unité primale et de la contradiction primale (…) Il ressemble étrangement au Dieu omnipotent du Christianisme, son ennemi supposé. Comme ce Dieu, il est par-delà la raison, par-delà la nature, par-delà le bien et le mal. Il remet en question tout ce qui est certain et stable. Il est un dieu de terreur et de joie. Il est le créateur de toutes choses, le destructeur de toutes choses, et le sauveur de toutes choses. »

Avec ce livre, M. A. Gillespie offre une contribution brillante et indispensable pour les théories et études sur le nihilisme. Grâce à sa généalogie convaincante des origines du nihilisme, l'auteur offre une nouvelle interprétation au nietzschéisme et au nihilisme qui permet une relecture riche et fertile des grands auteurs de la tradition occidentale. Écrit sous la forme d'une épopée philosophique, l'ouvrage retrace les grandes tentatives pour défendre le bastion de la raison établi par Descartes contre les assauts répétés du concept de volonté absolue sur laquelle cette forteresse fut, inconsciemment, construite.

Agréable à lire sans jamais renoncer à la rigueur académique, ce livre est tout simplement magnifique.
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