Que ma joie demeureJean Giono (1895-1970)
« C'était une nuit extraordinaire. Il y avait eu du vent, il avait cessé, et les étoiles avaient éclaté comme de l'herbe. Elles étaient en touffes avec des racines d'or, épanouies, enfoncées dans les ténèbres et qui soulevaient des mottes luisantes de nuit. »
Ainsi commence ce roman, un hymne à la vie, un chant merveilleux et poétique dédié à la nature, aux hommes et aux animaux, à la liberté et l'amitié. Ils sont sur le rude plateau provençal de Grémone ces hommes et ces femmes qui peinent sur leur terre. Jourdan et Marthe sont de ceux-là, viscéralement attachés à leur terre, une terre qui vit, secrète et violente ; ce sont des être simples animés de passions silencieuses.
Un beau jour ils ont la visite de Bobi, un vagabond, un sage au coeur généreux, un messager de la joie et de l'espérance. Il va délivrer aux hommes et aux femmes du plateau un discours de bonheur, leur révéler ce qui leur manquait.
L'homme a besoin de joie pour vivre : tel est le credo de Bobi. Mais à la vérité, ajoute Bobi, pour être joyeux longtemps c'est très difficile et au fond être joyeux, c'est être simples. S'il n'y a pas de joie on perd confiance ; la confiance c'est déjà la joie. « L'espérance que ce sera tout à l'heure, l'espérance que ce sera demain, que ça va arriver, que c'est là, que ça va nous faire boire, qu'on aura plus soif, qu'on aura plus mal, qu'on va aimer… »
Dans un style poétique très personnel riche de couleurs et de fragrances,
Jean Giono nous fait vivre cette aventure humaine sous le beau ciel de
Provence qui se profile au travers des fayards et des alisiers où pétillent les alouettes et éclosent les taches roses des amandiers fleuris, au rythme de la respiration bleue des vallées profondes, sur la terre fendue par le coutre et le fer du cheval tintant contre la chaine de la ridelle au moment du labour dans l'aube gémissante alors que le petit jour flotte encore et que le vent matutinal frappe à la porte de la Jourdanne où la débéloire murmure son chant de café. Un hymne à la nature accompagné du chant des draines, des turquins et des bouvreuils égayant une campagne où l'on entend gémir la terre, bruire les chars dans les landes tachetées des éteules et beurrées de soleil, crisser les sauterelles, craquer les grillons et bourdonner les grosses bourianes à l'été sur le plateau crépitant de soleil et de solitude.
Et puis le voisinage rend visite à la Jourdanne, les commensaux ont étendu le lièvre sur l'herbe, aligné les bouteilles, placé le jambon et les trois grosses andouilles grasses à côté… Viandes épicées aux bourgeons de térébinthe, fleurs de solognettes et gousses de cardamine. Simplicité, rusticité, fraternité. le partage dans la joie, car on n'a que le bon temps qu'on se donne dit Bobi, Et Jourdan qui sème des fleurs à la place du blé qu'il a en trop, parce que c'est beau.
Et quand le vin commença de tourner les têtes, « Joséphine déboutonna le plus haut bouton de son corsage, puis le second, puis le troisième, puis le quatrième…elle regarda Bobi…elle déboutonna le cinquième bouton. C'était le dernier. Elle ouvrit son corsage… Il se baissa. Elle s'accroupit près de lui… »
le repas, son ambiance et la suite, que couvrent plusieurs chapitres est un moment d'anthologie. Et après le vin vient la tisane d'aigremoine…
Landes à genièvre, petits champs labourés, forêts d'yeuses abritant la vie, celle des animaux mêlée à celle des humains : la visite du cerf de Bobi qui va librement parmi les hommes, la capture des biches au filet pour offrir une compagnie au cerf, le temps des amours chez les chevaux, autant de messages pour le respect de la nature dans la joie partagée. Et aussi le travail aux champs partagé. Tout le chapitre XXII est consacré au genre animal, un des plus beaux moments de ce roman.
Et puis viennent au jour les douleurs secrètes et les amours perdus noyés dans les soirs d'orages…
Publié en 1935, ce roman était écologique avant l'heure, offrant une place égale aux animaux, aux plantes et aux humains. C'est un véritable poème de 500 pages chantant la gloire des champs et des bois, la sagesse des bergers, un hymne au vent qui nous caresse et les feuilles aussi, aux fleurs qui éclosent…
Un texte lyrique qui se lit lentement, qui se déguste pour parvenir à l'essentiel.