Le Sang des 7 Rois, tome 1

Dans cette nuit sans nuages, les étoiles scintillaient doucement et Orville aurait pu oublier cette mission, ces semaines de poursuite et de souffrance, si ce n'était cette étoile qui n'était pas à sa place. Peu de chose en fait, mais dans un monde idéal les étoiles élisent domicile dans le firmament du ciel. Celle qui occupait actuellement son attention se détachait de la masse sombre de la montagne, non loin d'un sommet qui lui faisait face. (...) Elle s'éteindrait au matin avant le départ de celui qui l'alimentait en bois pour se réchauffer. Ces mois de poursuite avait gommé pour Orville la réalité du monde. Un but à suivre, mais à ne pas rattraper, la survie au quotidien, la lutte sans merci contre l'épuisement et la faim, ses impressions et contacts à transcrire dans un livre de voyage, et puis rien d'autre.

Tous les paysans capables de porter une arme avaient été regroupés, armés et grossièrement formés pour tenir ce qu'ils pourraient. Ces hommes qui la veille coupaient du bois et labouraient les champs… On lui avait conté cette bataille, si on pouvait qualifier ainsi cette escarmouche locale. Pas plus de cent cinquante combattants de part et d'autre, dont les deux tiers étaient des paysans morts de trouille. L'armement hétéroclite,  constitué de prises de guerre rafistolées à la va-vite, au cas où, et remisées sans précautions, donnait à cette troupe des airs de carnaval rouillé et brinquebalant. On trouvait pêle-mêle des pièces d'armures ayant fait la preuve de leur piètre qualité au service des défunts propriétaires, des rapières de toutes formes et de toutes tailles qu'aucun paysan ne savait manier ou des masses et autres fléaux d'armes qui risquaient surtout de blesser ceux qui les portaient.

La seule chose à faire la moitié hivernale de l'année était de monter ou de descendre les pentes enneigées, ou de manger devant l'âtre quelque plat de fromage fondu en attendant le printemps. Rien qui pourrait intéresser qui que ce soit et générer une activité économique durable...

C’est étrange comme certains bruits ressemblent plus au silence que le silence lui-même. Le sifflement du vent sur le relief lissait si bien la vie qu’il enduisait ce lieu de néant. Un néant de pierre.

Il écoutait, retenant sa respiration comme si se priver d’oxygène avait le pouvoir d’ordonner une pause au défilement du temps.

Dans cette nuit sans nuages, les étoiles scintillaient doucement et Orville aurait pu oublier cette mission, ces semaines de poursuite et de souffrance, si ce n’était cette étoile qui n’était pas à sa place. Peu de choses en fait, mais dans un monde idéal les étoiles élisent domicile dans le firmament du ciel. Celle qui occupait actuellement son attention se détachait de la masse sombre de la montagne, non loin d’un sommet qui lui faisait face. Comme les autres étoiles, elle scintillait lentement dans cette nuit d’été finissant. Contrairement aux astres lointains, elle ne se détachait pas sur l’immensité sombre du ciel, mais sur la dense et lourde matérialité de la montagne. Elle s’éteindrait au matin avec le départ de celui qui l’alimentait en bois pour se réchauffer.

Je vais maintenant vous édicter vos devoirs. Les théocrates savent reconnaître le diable là où il se manifeste. Chaque enfant doit à la naissance recevoir du théocrate la scarification rituelle comme nous l’avons tous reçue. Si le théocrate demande la mise au cachot d’une famille, accédez à cette demande. Ne posez pas de question, suivez ses réquisitions et dressez un bûcher si tel est son souhait.

Ces périodes de peste étaient propices aux affaires. Non que les denrées fussent aisées à trouver en ces temps troublés, mais la désorganisation facilitait la mobilité des richesses. Les domestiques profitaient souvent du désarroi de leurs maîtres dont la famille se clairsemait pour délester le logis de quelque objet facilement négociable, afin de financer leur fuite. On retrouvait en général leur dépouille au bord d’un chemin, détroussée par quelque bande que l’on verrait un jour se balancer au bout d’une corde. Ainsi vont les gens et les choses.

Des paysans… Sitôt la bataille engagée, une indescriptible mêlée avait offert aux corbeaux le meilleur des festins à l’issue de la plus inutile des boucheries.

Cette dernière blessure ne faisait que cacher la plus grave de toutes, celle dont on ne guérit pas et que l’on voudrait ignorer, il avait vieilli.