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Critique de Tricape


Je sors de chez les Goncourt (édition Gallimard, Folio, 2021) avec lesquels j'ai passé de bien agréables moments. Entre le coup d'État de décembre 1851, la guerre de 1870 (au cours de laquelle Jules est mort) et l'affaire Dreyfus, les célèbres frères ont donné et reçu un très grand nombre de visites, rencontré des écrivains, des acteurs, des peintres, des sculpteurs et autres artistes de la seconde moitié du XIXe siècle. Les soirées se passaient souvent en réceptions ou dîners au restaurant. De-ci de-là, Edmond nous décrit un paysage ou un intérieur ; la plupart du temps il ne résiste pas à nous dresser d'entrée de jeu le portrait haut en couleur, souvent peu indulgent, de son interlocuteur. Il aime les anecdotes, les traits d'esprit. Son jugement est souvent nettement tranché et a pu être parfois contredit par la postérité.


La liste suivante des personnages croisés dans ce Journal, quoique tout à fait parcellaire, vous mettra peut-être en appétit : Barbey d'Aurevilly, Barrès, Claudel (Camille), Clémenceau, Coppée, Daudet (Alphonse et Léon), Degas, Dumas, Flaubert, France (Anatole), Greffulhe (comtesse de), Heredia (de), Hugo (père et fils), Huyssmans, Leconte de Lisle, Loti, Mallarmé, Manet, Maupassant, Michelet, Mirbeau, Montesquiou (Robert de), Princesse Mathilde, Régnier (Henri de), Réjane, Renan, Rodenbach, Rodin, Sand, Sarah Bernhardt, Sainte-Beuve, Taine, Tourgueniev, Verlaine, Villiers de L'Isle-Adam, Zola... Trois écrivains font partie des intimes : Flaubert, Daudet et Zola ; on se reçoit chez les uns ou les autres.


En 1851, Balzac venait de mourir ; Hugo était déjà célèbre et partait pour un exil de dix-neuf ans ; Flaubert avait trente ans et commençait à écrire Madame Bovary ; Émile Zola et Alphonse Daudet n'avaient que onze ans ; Marcel Proust naîtrait vingt ans plus tard. le romantisme s'effaçait devant le réalisme. Les frères Goncourt ont bien senti cette transition. Si vous avez le Journal sous la main, allez voir le 11 mai 1863 : une belle empoignade sur l'évolution de la langue française entre Sainte-Beuve, Théophile Gautier, Renan et Edmond de Goncourt : "Aux idées nouvelles il faut des mots nouveaux !".


En 1858, un éditeur (Firmin-Didot) a cru devoir relever 119 fautes dans le manuscrit d'un roman que lui ont proposé les deux frères. Il s'ensuivit un duel à coup de références : pour une expression contestée par l'éditeur, Edmond réplique :"Avez-vous là un La Bruyère ? Je vais vous la montrer !". À propos d'une autre : "C'est dans la première page de l'Oraison funèbre d'Henriette d'Angleterre". Etc.


Le Journal est publié du vivant d'Edmond ; ce dernier ne se prive donc pas de s'y complimenter. Ainsi, quand il est promu officier de la Légion d'Honneur, en parlant des hommes du gouvernement, note-t-il : "(...) c'est la première fois qu'ils ont l'air de s'honorer de la croix donnée [aux hommes de lettres et aux artistes]". Comme si cela ne suffisait pas, il cite ensuite des extraits du discours prononcé par Raymond Poincaré à cette occasion !


La qualité de cette édition du Journal des Goncourt est remarquable. Les quelque 650 pages extraites des neuf volumes sont introduites par une préface du professeur Jean-Louis Cabanès et suivies d'un dossier de près de 200 pages où sont placés de précieux repères chronologiques suivis d'un corpus nourri de notes ; la lecture de cet ouvrage nécessite deux marque-page. Probablement par crainte d'un poids excessif, il n'y pas d'index des noms cités. On peut entreprendre la traversée de la seconde moitiè du XIXe siècle littéraire et artistique français en continu : on se demande toujours quelle célébrité va être croisée dans les pages à venir ; on peut aussi, à l'occasion d'une lecture d'un roman de l'époque, mieux comprendre son contexte : le Journal est une référence agréable et utile à consulter. Ce livre sera relu par tranches.
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