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2,83

sur 54 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  

Ceux qui ont lu Falaise de fous de Patrick Grainville ont déjà été séduits par son écriture flamboyante et connaissent son goût pour la peinture, la mer et les mots, «  ses seules armoiries ».

Dans ce roman on change de cadre, on quitte la Normandie pour la côte d'Azur, Antibes, cette ville dominée par le château Grimaldi, qui abrite le Musée Picasso, et où on peut admirer des sculptures de Germaine Richier.Sa terrasse ouverte offre une vue panoramique sur « La corne d'abondance de la Méditerranée qui dégorge sa jarre de lumière ». Éblouis, nous sommes, aveuglés même par ce « bleu de démiurge, bleu de Cyclades... ». Quoi de plus naturel de s'intéresser aux sommités de sa ville natale pour les protagonistes du roman.
L'Académicien met en scène Milos qui doit son prénom à une île des Cyclades où sa mère Myriam a vécu sa première aventure amoureuse initiatique. le titre met en exergue les yeux du protagoniste, car à 10 ans, il était considéré comme « un phénomène » à cause de ses yeux bleus d'une beauté absolue, de son regard foudroyant «  d'un bleu royal, d'azur irréel « qui «  happait l'attention ».
On suit sa scolarité, il est placé en établissement privé à la suite d'une agression. Excellent élève.
Le bac en poche, il s'oriente vers des études d'archéologie et de paléontologie. Marine choisit des études d'anglais.

Beaucoup de mystère quant à l'impact de son regard, à son port de lunettes fumées. Il prend conscience de son rayonnement lors d'une chute/glissade et croise le sourire d'une douceur angélique de Marine dont il tombe amoureux.Marine qui devra s'accommoder d'être «flanquée de ce mystère d'homme masqué » ou parfois se résoudre à porter elle-même un masque.
Milos est présenté par sa mère comme doté d' un caractère intempestif, susceptible. Les séances de psy sont un échec.

On accompagne le jeune couple dans ses baignades, dans ses promenades et visites au château Grimaldi, au fort. Lieux associés aux deux peintres que Patrick Grainville évoque en les opposant : Picasso ( 1881- 1973 ) , «  nain et trapu, chauve, narcissique , des yeux injectés d'une énergie frénétique », Nicolas de Staël (1913-1955), grand, très beau, «  fort comme un batelier ».
Pour Milos, ils forment « une figure double, antagoniste et presque sacrée, inhérente à Antibes ».
Selon les connaissances du lecteur sur ces artistes, ce roman lui permet d'approfondir leur biographie et de mieux cerner leur oeuvre, leur style. La curiosité est éveillée par les descriptions minutieuses, évocatrices de certains tableaux. Celui qui est omniprésent, c'est Guernica, cet été 37 , alors que la guerre gronde en Espagne. Un été où Picasso convie plusieurs couples célèbres dont Eluard, adepte de l'échangisme pour un pique-nique sur l'île Sainte-Marguerite.Roland Penrose et Dora Maar immortalisent la bande, Picasso réalise des portraits de Nusch , l'égérie des surréalistes.


Le coeur de Milos, aux lunettes d'aveugle, est écartelé entre deux femmes, l'amie d'enfance Marine et Samantha, amie de sa mère. Samantha, qui a rédigé une thèse d'histoire de l'art sur Picasso, nous dévoile une facette peu sympathique du Minotaure, amateur de femmes, au nombre pantagruélique de maîtresses . Elle cherche à débusquer une histoire secrète sur cet « Andalou ithyphallique ». Elle relate ses frasques, « les cages dorées de ces héros de la libido ». C'est une galerie d'inconnues qu'elle a rassemblée dans un album qu'elle commente à Milos. Elle présente Picasso comme « un monstre, un démiurge, un vampire tentaculaire, mais aussi comme un génie ». Génie dans la cruauté, note le narrateur. On croise ses épouses et ses amantes et Muses les plus célèbres : Dora Maar qui partage «  le grand Pan » avec la sensuelle Marie-Thérèse. La couverture du roman représente le portrait de Marie-Thérèse Walter que l'on peut voir au Musée Picasso de Paris.

Le mouvement #metoo aurait eu de quoi réagir quant aux différences d'âge (70 ans pour lui , 20 , 19 ans pour elles). Femmes que le prédateur irrévérencieux a souvent broyées, poussées au suicide.
Milos, qui se soumet aux désirs sexuels de Samantha a peur de perdre Marine ! Celle-ci, fatiguée par les incartades de son amant, le somme de choisir et décide d'aller enseigner Outre -Manche.
Son job au musée de l'Homme, lui permet de découvrir où Picasso et Nicolas de Staël ont vécu et peint et où ils sont exposés. «  La tour Eiffel lui fait du bien », tout comme la Vénus de Lespugne.
L'éloignement de Marine avait d'abord provoqué chez Milos un grand tsunami,mélancolie, dépression. Mais très vite il se laissera envoûter par Vivie , «  Minoenne de charme », qui le blessera gravement par jalousie une fois Marine revenue vers son cher Milos.

Certains peuvent être mal à l'aise devant la pléthore de scènes d'alcôve. Patrick Grainville n'a-t-il pas été catalogué comme «  l'Académicien le plus priapique » par les critiques du Masque et la Plume ?!

Le romancier excelle dans la peinture /la poétique des paysages. : « La corne d'abondance de la Méditerranée dégorgeait sa jarre de lumière ». Il y a des lieux où on aimerait se poser, comme sur la terrasse ouverte du château Grimaldi. Pour Serge Joncour « il y a des paysages qui sont comme des visages, à peine on les découvre qu'on s'y reconnaît. »
Suivre Milos sur les traces des peintres, «  Pic et Nic », c'est s'éloigner d'Antibes pour faire halte à la plage de Garoupe, à Mougins, à Vallauris, Nice, passer par Paris. Milos et Marine enquêtent pour connaître le lieu exact où Nicolas de Staël a peint Concert, l'ultime tableau avant son suicide.
Ils nous embarquent à Londres, dans les musées de la capitale comme la Tate Britain et le colossal British Museum , se prélassent dans St James's park , longent la Tamise et partagent leur bonheur. Nouvel éblouissement devant les toiles de Turner, «  le roi des peintres modernes » aux « paysages hallucinatoires ».

En tant que futur archéologue Milos explore le Périgord, les grottes, s'envole jusqu'en Namibie sur les traces de l'abbé Breuil pour voir « l'archive brute de la fresque de la Dame Blanche » dont il relate le mythe,il participe également à des fouilles à Monaco. En Espagne, il visite Altamira.


Dans cet ouvrage qui sent bon le midi s'exhalent des odeurs citronnées, de menthe, d'eucalyptus.
Pour profiter pleinement de ce roman foisonnant, truffé de descriptions de tableaux de deux maîtres, des lieux qu'ils ont fréquentés, il est vivement conseillé de se procurer des livres sur les oeuvres des deux peintres, afin de les voir de visu et de faire une escapade en images à Antibes et dans les autres lieux évoqués. Si vous nourrissez , comme Milos et Marine, « une fringale d'échappées, d'espace, d'extases inédites », vous serez comblés. Ils nous entraînent même à Java !

L'auteur multiplie les références artistiques, mythologiques et littéraires , il glisse du Baudelaire ( Ordre et beauté luxe calme et volupté ») et du F.Scott Fitzgerald ( « Tendre est la nuit »).
Le récit se termine par le rêve «  farfelu » et délirant de Milos, qu'il a consigné « pour le fixer ».

Patrick Grainville signe un roman érudit où sont déclinés les portraits et destins de Picasso et de Nicolas de Staël de façon chorale, où se mêlent érotisme et lyrisme, servi par une langue recherchée et une écriture riche. Beaucoup de phrases nominales.Profusion de couleurs. Prodigieux.Lumineux !
On connaît le bleu Klein, il y a maintenant le bleu « séraphique » de Milos et le bleu De Staël !

Une invitation à déambuler dans les Musées. Un appel urgent à les voir nous ouvrir leurs portes !


Last not least, un immense merci à Babelio et aux éditions du Seuil pour m'avoir permis de m'évader, de m'immerger dans les tableaux de «  Pic et Nic » et d'accompagner Milos dans ses multiples pérégrinations, ainsi que Marine, «  thérapeute de son errant hypersensible ».
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Le bleu des Cyclades sur fond de souvenirs fantasmés par sa mère et le bleu d'Antibes où il est né ont envahi les yeux de Milos. « Le bleu du délire. le bleu, éros de Bataille. Ce bleu de trop » écrit l'auteur (p. 133). Un surplus d'azur dans le regard qui, loin de combler Milos, l'expose à l'envie ou la cruauté d'autrui pense-t-il. Un jour... Une poignée de sable jetée par Zoé en pleine figure lui cisaille la vue. Collyres, lunettes teintées et psy désormais Milos se dérobera aux autres en se cachant les yeux. Dans la ville qui abrite aussi l'antre sacrée de Picasso, le Musée Grimaldi, la figure du Minotaure s'est imposée à son imaginaire. Mais c'est le géant aux yeux bleus De Staël tiraillé entre ses deux amours qui le bouleverse. C'est le vertige de sa chute suicidaire que Milos interroge et l'absolu de sa peinture dans la dernière oeuvre monumentale (« Concert »), créée juste avant que le peintre ne se jette au pied des remparts de la ville. Peut-on s'étonner alors qu'après son bac Milos parte sur les traces des êtres hybrides de la Préhistoire et que, dans les pas de l'Abbé Breuil dont les écrits le mèneront des cavernes magdaléniennes du Périgord à la Namibie et jusqu'en Indonésie, il poursuive sa quête d'infini en compagnie de Marine l'aimée des commencements ; de même s'il cède trop promptement au sexe et à la volupté facile avec la belle névrosée Samantha, version fatale de séduction qui s'est immiscée dans sa vie au début du roman, c'est peut être autant pour ce qui l'aimante vers Picasso que pour la nouvelle version du Rapt d'Europe qu'il sent se jouer là ? En tentant de faire revivre les inconnues du peintre auxquelles elle s'identifie Samantha, hantée par l'emblématique année 1936 et par l'été de la Garoupe de Picasso (1937), cannibalisée par le sujet de son étude est bientôt dans l'impossibilité d'écrire sur celui qui a le pouvoir de tout représenter... Mais c'est sous les voûtes d'Altamira qu'une autre élue la plus insondable de toutes (Vivie) entraîne ensuite Milos, laquelle, l'ayant surpris dans un rituel secret de pose/dépose de ses lentilles colorées, lui révèle ce qu'il s'effraie tant à voir. Se refuser au regard des autres c'est s'aveugler soi-même. Ainsi vogue Milos entre trois amantes.

De Guernica aux plus récents attentats londoniens Grainville égare le lecteur dans une fable contemporaine picturale et voyageuse aux temporalités distinctes et aux géographies variées où la beauté prend sa part de malheur dans le bleu des yeux d'un personnage : Milos dont la vue s'accorde mieux à l'épaisseur chronologique des temps les plus reculés et la sensibilité à la vérité des représentations primordiales ou des paysages telluriques. Milos, contrairement à Picasso qui les « invente » et les métamorphose par la peinture, laisse finalement ses trois amantes s'emparer de lui corps et âme et faire de lui le personnage romanesque qu'il est. Les mises en abyme et jeux de miroirs sont innombrables dans cette réunion de personnages fictifs et réels et rendent l'issue du roman longtemps incertaine. P. Grainville cru, fantasque, drôle, baroque, brillant fait appel aux mythes – « histoires qui ne cessent de nous prendre, de nous tuer, de nous sauver », dit-il (p. 165) –, à l'histoire de l'Homme et à l'art paléolithique dont le curé savant est le passeur, mais aussi à la vie et à l'oeuvre de deux grands peintres emblématiques dont il questionne la création, Picasso et De Staël, pour sonder le mystère des origines et l'opacité du désir chez ses personnages, pour faire se tutoyer le sexe et la mort, fusionner la matière et l'esprit. On s'y perd avec impudeur et délectation, pris dans un tourbillon de phrases, de références et citations, de mots et d'images étourdissantes, de raccourcis suggestifs et digressifs dont le rythme ne laisse que peu de répit. Comment pouvait-il en être autrement avec Picasso mythique en son siècle, monstre tauromachique et maître tyrannique des femmes de sa vie qui envahissent les pages (hors Fernande) de leur présence triviale et sublime, chargées des visions qu'elles inspirèrent (Olga, Marie-Thérèse, Dora, Françoise, Jacqueline… et les autres) ? Si seul un être de fuite tel que Milos pouvait dans cette quête des profondeurs échapper à la fascination Picasso et au vertige de l'obsédante chute de De Staël, la fin très symbolique du livre apprendrait cependant au lecteur que la passion romanesque d'une amante délaissée s'avère bien plus redoutable encore. Très belle lecture labyrinthique.

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le thème de départ finalement importe peu, ce n'est qu'un prétexte pour plonger dans deux mondes un peu fous : celui de la peinture et celui de l'érotisme.
Milos est né avec des yeux qui « dérangent », trop directs, trop profonds, trop bleus. Il fera l'expérience de sa différence dès l'école, malmené par ses camarades de classe. Une agression inattendue modifiera à jamais sa confiance en lui et dans les autres Il va adopter la parade qui le protégera, croit-il : des lunettes fumées, comme un artiste en mal d'intimité.

Il aura plusieurs amantes, mais c'est entre Marine, qui se croit l'élue, et Samantha, quadragénaire sexy, qu'il découvrira le plaisir sensuel et celui de l'esprit.
Samantha l'entraîne, et nous avec elle, dans le Mougins de 1937, quand Picasso peint Guernica tandis que les Espagnols meurent sous la violence phalangiste. Parmi eux, Gerda Taro, la photographe compagne de Robert Capa, dont on entend si peu parler.

Sur les plages ensoleillées, Picasso jouit de la vie et des femmes tandis qu'on meurt à Guernica. mais la nuit, il peint l'horreur, et Patrick Grainville nous fait revisiter ce tableau qu'on croyait connaître par coeur.

Des années plus tard, dans ces mêmes lieux qui abritent le musée Picasso, un jeune artiste de 41 ans, bouleversé après avoir écouté la musique de Anton Webern et Arnold Schönberg, jette sur la toile l'émotion brute ressentie et se précipite dans le vide le 16 mars 1955, peu importe le lieu, qui apparemment fait débat : Nicolas de Staël, l'explosion de la couleur, de la forme, de la douleur, dans une peinture aveugle, où les instruments semblent morts, eux aussi. Incandescence, bouillonnement fou d'émotions incontrôlables. Peu avant, il avait peint le Fort carré, dans les gris et les bleus de son pays perdu, au bord de la Neva. le bleu de de Staël, moins célèbre que celui de Klein, mais tellement bouleversant.

Ce roman est un va et vient permanent entre les années 30-40 et aujourd'hui, entre Nicolas (Nic) l'écorché vif et Pablo (Pic) le jouisseur fou de lui-même et de son art. Pic, Nic, drôle de regards croisés, échange improbable entre deux monstres dévorés par leur génie.

Grainville nous sert du monstre, de l'étrange, du polymorphe et de l'hybride à tout va. Entre les créatures de Picasso et les trouvailles de l'archéologue Milos, à Lascaux, à Fond de Gaume, à Chauvet, Altamira, au Brandberg en Namibie : nous sommes le plus souvent au bord du chamanisme et de la plongée en terre sacralisée. Les sons et les couleurs se répondent. Patrick Grainville nous entraîne dans un vertige, un tourbillon halluciné au milieu des oeuvres citées, des paysages décrits, des expériences érotiques relatées. Luxe, calme et volupté... Enfin, calme, pas très souvent.

Ce livre est un vertige, une incandescence, une plongée en apnée dans une multiplicité de sensations où le regard (celui si dérangeant de Milos) n'est qu'un des moyens de s'enivrer. Au final, l'histoire importe peu, elle n'est qu'un prétexte à immersion sensorielle.

Ce livre est un piège. 343 pages qu'on croit pouvoir absorber sans difficulté. Mais chaque page ou presque impose au lecteur de plonger dans les replis de livres ou de sites internet, de fouiller, comme Milos et l'abbé Breuil, au plus profonds de grottes secrètes. Une chronique, des pages de notes.

Ce livre est sans aucun doute le meilleur que j'aie lu sur la création artistique sous toutes ses formes depuis des années.
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