Comment parler d'un polar sans en dévoiler la trame, sans en révéler l'intrigue, sans divulguer la moindre piste concernant le dénouement, sans le spoiler selon le terme maintenant si répandu? Il faut biaiser et il n'en ressort jamais rien de bon. Paradoxalement, il est toujours plus facile de s'épandre sur un bon polar qu'un mauvais.
Chez Grangé, pas de problème, il y aura toujours du grain à moudre sans forcément retomber dans les péripéties de la trame centrale.
Comme dans tout polar qui sait se faire respecter, il y a des crimes et une enquête. Des scènes chocs, des rebondissements, des coups de théâtre. On n'y échappe pas. Mais «
le Passager », ce n'est pas que ça.
D'abord, le contexte baigne dans la psychiatrie, le héros est lui-même psy. Lorsqu'on sait que le cerveau humain est le moins connu de tous nos organes, qu'il véhicule des fantasmes et des mystères, on imagine ce que peut en faire un talentueux auteur de polars psychologiques. A partir de là, tout y passe : changement de personnalité, amnésie, troubles comportementaux.
L'enquête est menée sur deux fronts.
Le premier, classique, excepté le fait que l'investigation est confiée à une jeune femme dont le passé s'amuse à la rattraper avec son lot de démons.
Le second est nettement plus intéressant puisqu'il s'agit du coeur du roman, lui offrant son titre :
le passager. On aurait préféré le Voyageur sans Bagage mais un certain Jeannot avait déjà immortalisé l'intitulé. Les poupées russes ou
Matriochka. Là, on peut chercher, personne n'a eu l'idée avant, ni
Dostoïevski ni Tchekov, pas davantage Tolstoï. Ce syndrome de la perte d'identité ou de mémoire, les deux plus précisément, offre à Grangé une aubaine exceptionnelle. Tout est brouillé autant pour le lecteur que pour le protagoniste.
Commence alors une recherche de soi au travers de plusieurs personnalités, le tout mêlé à la mythologie grecque. Ca foisonne de tous côtés jusqu'au dénouement qui joue avec les conséquences du réchauffement climatique. du grand art. le seul bémol réside dans une conclusion un peu simpliste. On pense à un magicien qui prépare un tour phénoménal avec effets pyrotechniques, nombreux assistants, effets garantis et ne propose en réalité qu'un simple tour de cartes. Mais, après tout, qu'importe l'issue puisque, de toute manière, nous ne sommes pas dans un polar conventionnel. L'intérêt est ailleurs. On finit par se moquer de qui a fait le coup. On jubile à chaque chapitre qui ont la bonté d'être suffisamment courts pour garder un rythme d'enfer tout au long de ce pavé (presque 1000 pages). Les langues de vipère et les mauvais esprits pourront arguer que Grangé n'évite aucun lieu commun, qu'il ressasse plus qu'il n'invente. Qu'importe. On se laisse emporter malgré tout. Des coïncidences heureuses, des personnages parfois à la limite de la caricature : un duo de tueurs aussi froids que leurs armes, des flics trop parodiques pour être honnêtes, des bons samaritains d'un côté et des dangereux criminels de l'autre, jusqu'au décor qui semble être tendu pour une adaptation cinématographique. Loupé.
le Passager n'a pas eu les honneurs du septième art sur grand écran dans une salle obscure mais un saucissonnage de six épisodes diffusés sur France Télévision. Quelle honte! Seul le casting peut sauver le désastre. J'imaginais parfaitement le capitaine Anaïs Chatelet sous les traits de Raphaëlle Agogué. Fine et volontaire. Têtue et irrésistible. Névrosée et amoureuse.