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Citations sur Partir avant le jour (40)

Un jour, Anne revint avec un gros paquet sous le bras. " J'ai pu me procurer du charbon ", dit-elle à Papa avec un sourire de bonheur. Le paquet fut immédiatement vidé dans la grille où rougeoyaient modestement quelques boulets. Nous attendîmes. De la fumée monta dans la cheminée au bout d'un instant. " Ça prend." Oui, ça prenait et déjà nous tendions les mains en avant, mais notre joie fut courte : on avait vendu à Anne des pierres enrobées de poussière de charbon.
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Un jour, il me dit à l'oreille des choses dont le sens m'échappa et je l'insultai.
Je ne me souviens que trop bien de ce que je lui dis : C'était encore du temps de mon antisémitisme. "Sale Juif !" Cette triste injure...Nous étions sur le seuil de la classe que nous allions quitter, après le cours d'allemand. Notre professeur se tenait derrière nous. Il s'appelait Koessler. [....................].
Lorsqu'il entendit ce que je disais à B., il nous retint dans la salle de classe dont il ferma la porte, puis il dit simplement : "Expliquez-vous"
Je me jetai de toutes mes forces sur mon adversaire qui roula avec moi au pied de l'estrade. Une telle fureur nous animait tous deux que nous ne songions même pas à crier et ce fut dans le plus grand silence que nous fîmes de notre mieux pour nous tuer. Aujourd'hui que je vois ces choses avec plus de lucidité, il m'apparaît clairement que nous nous libérions sans le savoir d'une sorte de rage amoureuse qui prenait le visage de la haine.
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On peut comparer les enfants à un vaste peuple qui aurait reçu un secret incommunicable et qui peu à peu l'oublie, sa destinée ayant été prise en mains par des nations prétendues civilisées. Tel homme chargé d'honneurs ridicules meurt écrasé sous le poids des jours et la tête pleine d'un savoir futile, ayant oublié l'essentiel dont il avait l'intuition à l'âge de cinq ans.
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On peut dire la couleur des yeux gris nuancés de bleu pâle. Cependant on ne rend pas avec des mots la tendresse d'un regard. Or, j'avais faim de cette tendresse. Il me semble que ce que nous faisons de plus sérieux sur cette terre, c'est d'aimer, le reste ne compte guère.
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Avec le temps, j'ai pu constater qu'appeler le diable est inutile, parce qu'il ne nous quitte jamais d'une semelle.
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Ma soeur Eléonore m'avait fait cadeau de son crucifix de plâtre et je l'avais accroché dans ma chambre, tout protestant que j'étais, mais quand venait le moment du péché dont je finissais par haïr la tyrannie, je décrochais le crucifix. Or, il y avait dans cette condamnation secrète de ma conduite le germe de quelque chose que je ne soupçonnais pas, et c'est pourquoi j'en ai parlé ici. Il est certain que j'aimais le Christ comme une personne vivante et présente. Je croyais fermement qu'il était là et que, lorsque je faisais le mal, renversé sur le lit comme un assassiné, c'était l'ange noir qui m'ensorcelait. Que tout, ensuite, me paraissait morne !
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Je voulais aller vers les autres, vers tous les autres, et je ne le pouvais pas, parce que me croyant seul, j'étais et je restais seul. Le péché brisa ce cercle magique, beaucoup plus tard. Ce fut par le péché que je retrouvais l'humanité.
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C'est ici que ma mère entre en scène. Elle avait beau être protestante, elle voulait qu'Agnès fît ses pâques. On m'a souvent raconté qu'un jour les deux femmes prirent un fiacre et se mirent à la recherche d'un prêtre qui consentît à donner l'absolution indispensable. Des ninas sans nombre furent consumés. On s'arrêtait devant une église et la pauvre pécheresse, de son pas lourd, se dirigeait vers la porte pendant que ma mère attendait dans le fiacre. Au bout d'un long moment, Agnès sortait en secouant la tête. "Rien à faire. Essayons ailleurs".
Elles allèrent ainsi d'église en église, Maman patiente et résolue, Agnès de plus en plus inquiète. A la fin, ma mère la vit ressortir, épanouie, d'une dernière église.
" J'ai eu affaire à un prêtre très intelligent, dit-elle. Il m'a donné l'absolution.
- Dur d'oreille, peut-être, murmura ma mère.
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Sans songer le moins du monde à s'en cacher, elle et Papa lisaient devant nous le Rire que nous n'avions pas le droit de regarder, mais il y avait dans tout cela une sorte d'innocence que je renonce à expliquer. Cela tenait peut-être à l'époque. Je me souviens qu'un jour le Rire étant allé un peu loin fut saisi. Le numéro suivant portait en première page un dessin représentant Adam et Eve, tous les deux nus Adam toutefois avait autour de la taille un grand mouchoir orné d'un A.
" Adam, disait Eve, prête-moi ton mouchoir.
- J'peux pas, répondait-il, le Rire serait saisi.
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Dès sept heures du soir, j'étais couché. La porte de ma chambre restait ouverte, ouverte également celle du salon d'où m'arrivait , à travers l'obscurité de l'antichambre, une vague mais rassurante lueur et, de temps à autre, un murmure de voix et le rire charmant de ma mère. Je pense qu'elle devait se souvenir des affres qu'elle avait elle-même souffertes, enfant, dans sa maison natale de Savannah, maison hantée s'il en fut. Il y avait cependant une autre raison à cette porte ouverte. Si jeune que je fusse, en effet, ma mère me surveillait déjà, ayant pour certaines fautes une horreur que je n'ai connue qu'à elle, et quand elle ne pouvait m'épier, car il s'agissait un peu de cela, ma sœur Mary se chargeait de ce soin à sa place.

Bien entendu, j'ignorais tout de ces manœuvres. J'étais l'innocence même et le restai longtemps, mais il est hors de doute qu'étendu sur le dos, dans mon lit, je prenais plaisir à explorer de la main ce corps dont j'avais à peine conscience comme d'une partie de moi-même. Quel âge avais-je en effet ? Cinq ans peut-être... En tout cas, je ne comprenais pas encore très bien l'anglais, ainsi que la suite le fera voir.

Il arriva qu'un soir, ma sœur Mary se trouva tout à coup près de mon lit. Je ne l'avais pas entendue venir, mais du reste, pourquoi me serai-je caché, ne me sentant pas coupable ? D'un geste énergique, elle rabattit la couverture jusqu'à mes pieds et avec un grand cri appela ma mère qui accourut, le bougeoir au poing. Dans la lumière, j'apparus tel que j'étais, ne comprenant rien, souriant peut-être, les mains dans la région défendue. Il y eut des exclamations et ma mère, posant son bougeoir, quitta la chambre pour revernir armée d'un long couteau en forme de scie dont on se servait pour couper le pain. À ce moment, la cuisinière, attirée par tout ce bruit, parut sur le pas de la porte. Elle s'appelait Lina Ranoux...

"I'll cut it off !" s'écria ma mère en brandissant le couteau à pain. Je ne comprenais pas ce qu'elle disait. À vrai dire, je ne comprenais rien à toute cette agitation autour de moi. Lina éclata de rire, mais moi, je fondis en larmes devant le visage indigné de ma mère. Alors ma sœur murmura quelque chose et me recouvrant, elle me donna un baiser. La bougie fut soufflée, on s'en alla et je m'endormis. Selon toute vraisemblance, j'aurais complètement oublié cette scène si l'on ne m'en avait fait souvenir un peu plus tard...

Native de Badefol d'Anse, au pays de la Dore et de la Dogne, Lina Ranoux était une paysanne au teint vif, à la parole drue. Le nez en l'air, les narines très ouvertes, elle marchait en remuant de fortes hanches... C'était loin d'être une mauvaise femme, mais elle était rude. Le matin, mes sœurs allaient jusqu’au seuil de la cuisine pour recevoir au vol leurs chaussures que Lina leur lançait joyeusement à la tête. " Voilà vos bottines, chipies ! " s'écriait-elle. Ma mère ignorait ce détail. Avec moi, Lina se montrait moins brusque dans ses paroles, mais pour jouir de ma mine éberluée, elle me disait toutes sortes de choses dans son patois et riait ensuite, les poings à la taille. Sa voix retentissait dans la cuisine où j'allais quelquefois, grande faveur, l'aider à essuyer les assiettes. " Alcotétof ! " me disait-elle en empoignant le couteau à pain dans de grands accents de gaieté. Je ne savais pas ce qu'elle voulait dire mais je reconnaissais la phrase et le geste de ma mère, et c'est ainsi que je les ai retenus...
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