J'imagine que les souvenirs d'enfance n'auraient pas la même couleur si on les revivait avec nos âmes d'adultes.
Peut-être qu'en le tenant très fort il ne partira pas.
Il était là, à portée de main, depuis ma naissance. Disponible, comme un prolongement de moi, une présence permanente et éternelle. Maintenant que cette présence est fragilisée, je le vois. Ses qualités, ses failles, l'humain qu'il est. Je le rencontre enfin, au moment où il s'éclipse.
Sa raison s'effrite, sa personnalité s'effiloche. Petit à petit, mon papa tire sa révérence.
La nuit est devenue le refuge de mes idées noires. Vers trois heures du matin, sous le règne de la pénombre et du silence, le sommeil se défile et le ballet des regrets commence. Les premiers rôles sont tenus par Nostalgie et Culpabilité, qui enchaînent les arabesques dans le passé.
J'aurais dû voir. Il y avait des signes.
C'est la seule personne à qui je peux tout dire et de qui je peux tout entendre. Parfois, on ne se comprend pas, il arrive qu'on se déçoivent, mais il y a un lien indéfectible qui n'existe qu'entre soeurs et frères. Mes souvenirs d'enfance sont inscrits dans nos deux mémoires. Nous partageons bien plus que le nom.
C'est le problème des habitudes, elle ne se remettent en question que quand elles sont bousculées.
Ma peur à moi, c'est la mort. La mienne, et encore plus celle des autres. Lorsqu'il s'agit de proches, mon cerveau dysfonctionne. Je reste bloqué dans la phase de déni, incapable d'admettre que le monde continue de tourner alors qu'il y manque une personne. Je vis dans la terreur de perdre les gens que j'aime, plus exactement de continuer à vivre sans eux.
Ca se dégrade vite, Juliane. Habituellement, c'est plus lent. Je ne sais pas ce qui se passe, mais je tiens à te donner un conseil. Profite de lui, la partie n'est pas finie, il est encore l'heure de tous les possibles.
Charlie applaudit, Gaëtan hyperventile, et mon père jubile.