Je me recouche. L'obstination est ma seule arme. Sous les coups, les insultes, le chien s'allonge aux pieds de son maître. Il lèche les chaussures qui le molestent. Nulle brimade n'entame sa confiance. Il se laisserait massacrer sur place – et en redemanderait ! – pour peu que son maître l'ait décidé.
Le chien est un con. Je suis un chien.
Et si, à l’insu des vivants, c’était le lot commun des défunts, d’accumuler des souvenirs en couches successives ? Si chacun possédait la totalité de ses passés, rangés, telles des lasagnes, au fond de son cerveau ? Quel trésor… et quel enfer !
La servilité des chiens est une arme de séduction confinant au génie. Peu d’humains y résistent. Nous lui devons des millénaires d’indéfectibles côtoiements, d’esclavage consenti, que les maîtres ont le toupet d’appeler amitié.
À tout âge, on peut remettre ses certitudes en cause.
Elle s’assied, ragaillardie. Les réveils solitaires, ce n’est pas drôle. Une compagnie, fût-elle d’un animal, aide à aborder le jour.
J’ai toujours aimé l’odeur du métal chaud glissant sur le tissu moite. Rien n’est plus rassurant pour les maris, les enfants et les bêtes. Repassage, cire fraîche, soupe qui cuit… Il y a toute l’alchimie du bonheur dans les effluves domestiques nés du labeur des femmes.
C’est étrange à quel point ma vie a peu varié depuis cet « avant » – qui a, il faut bien le reconnaître, de furieux relents d’« aujourd’hui ». La mort semble n’avoir été qu’une parenthèse dans le flux calme de mes jours. Une escale entre deux navires.
Le temps n’altère pas l’arôme des êtres.
Les hommes sont comme les animaux : la montée de la sève les travaille. Dès fin mars, ça les démange dans le caleçon.
Perdu dans mes joies gustatives – est-ce la saveur de la fricassée qui me transporte, ou celle de sa salive ? Les deux sans doute, délices complémentaires sollicitant, à divers titres, la sensualité de mes deux moi-même –, je mets un instant à saisir ce dont elle parle.