Existe-t-il un point où le profit s’efface ? Où l’accumulation s’abolit ? Où la dépense, livrée à elle-même, se découvre une souveraineté qui retourne le calcul et l’accorde à l’ébullition du monde ?
(page 102)
Lilya dit que l’avenir serait comme ce vin clair qui miroite ; elle voulait que tout dans sa vie fût comme ce moment où l’on glisse dans l’eau d’un lac et que la baignade s’élargit au point que le ciel entre dans l’eau, et alors on ne sait plus si l’on nage dans un lac ou dans les nuages.
(pages 395-396)
Quand pour la première fois il pénétra le corps de sa bien-aimée, le Trésorier sut qu’il avait trouvé le paradis.
(page 397)
Le Trésorier-payeur raconta en effet l’origine de la Banque de France. Il dit qu’elle avait été créée le 18 janvier 1800 par Napoléon Bonaparte afin de perpétuer la machine à faire des riches avec le travail des pauvres, et de donner un contenu légal à cette éternelle spoliation. Bonaparte avait été porté au pouvoir par un groupe financier qui n’était pas disposé à s’arrêter de s’enrichir ; et une fois à la tête de l’État, il décida de conférer une légitimité nationale à ce consortium d’hommes d’affaires privées ; son tour de force consista à faire en sorte que l’État français se mette au service d’une banque d’intérêt privé, à l’inverse de ce qui s’était toujours pratiqué.
(pages 382-383)
D’un même geste, l’argent sauve et ruine : dans la crypte où se multiplient les bénéfices des uns, s’effondrent les comptes des autres. La société ne cesse de dépouiller ceux qui n’ont rien ; elle veut, en leur prêtant l’argent qui les asservit, que même les pauvres participent au banquet funèbre de la dette : ce fonctionnement s’appelle l’économie.
(page 222)
Les intellectuels ne se promènent pas torse nu, ils meublent leur appartement avec soin et se battent pour le pouvoir ; lui semblait flotter comme un ange à l’intérieur du monde des idées.
(page 315)
Dans sa tête, un monde aussi sauvage que celui qui bondit sur les parois de Lascaux ou de la grotte Chauvet avait commencé à creuser ses galeries ; ainsi voyait-il sa vie comme une quête : il cherchait une chose obscure, une chose dont il avait entrevu la vérité en descendant dans les coffres de la Banque de France.
(page 154)
Ce qui chatoie lorsqu’on fait l’amour est aussi doux que le plaisir lui-même ; des ombres chaudes passent d’un corps à l’autre, et la lumière qui pénètre les corps les arrache à la pesanteur : c’est la vraie joie.
(page 320)
Nous le pressentons, nous l’espérons, nous le savons : il existe un plaisir plus grand que nous, si grand que, si nous étions capables de le ressentir, il nous effacerait. Nos corps seraient d’abord soulevés, comme dans les plus belles étreintes, puis entraînés dans une spirale de lumière où, tournoyant sur eux-mêmes, comme des cercles de feu, ils se volatiliseraient. Le poudroiement des étoiles est l’horizon de nos désirs.
(pages 293-294)
Il n’y a rien de plus beau qu’un roman qui s’écrit ; le temps qu’on y consacre ressemble à celui de l’amour : aussi intense, aussi radieux, aussi blessant. On ne cesse d’avancer, de reculer, et c’est tout un château de nuances qui se construit avec notre désir : on s’exalte, on se décourage, mais à aucun moment on ne lâche sa vision.
(page 54)